Sionisme

Fable et tragédie

Pourquoi la guerre du Proche-Orient est-elle sans fin ? Pourquoi le gouvernement de Tel- Aviv va-t-il « dans le mur » ? À cause du sionisme, affirment plusieurs ouvrages publiés récemment en Israël. Tribune…
par Dran

En Israël et dans les communautés juives organisées, l’histoire est sioniste, l’identité est sioniste, l’éducation est sioniste, les valeurs sont sionistes. L’épopée fantastique que l’on raconte aux Juifs dès le berceau les a souvent rendus insensibles à l’existence de « l’Autre », à ses droits, à sa souffrance. Mais cette histoire est une fable. Et ce sont des Israéliens (écrivains, journalistes, historiens, cinéastes…) qui sont en train de démonter le mythe.

Les fondateurs du sionisme n’étaient pas croyants, mais ils sont allés puiser dans la Bible tout ce qui pouvait justifier leur projet colonial. En 2002, les archéologues Israël Finkelstein et Neil Asher Silberman ont décrit dans La Bible dévoilée1 ce qui ne fait plus aucun doute depuis des décennies. L’épisode d’Abraham est faux. La Genèse parle de dromadaires qui sont apparus des siècles après dans la région. Il n’y a pas eu d’arrivée des Hébreux depuis la Mésopotamie. Moïse, l’entrée ou la sortie d’Égypte, c’est également du pipeau, désolé pour les amateurs de péplums. Josué, la conquête sanglante de Canaan, les trompettes de Jéricho, c’est aussi une légende. Et là, c’est plus sérieux : voilà une apologie du nettoyage ethnique et du massacre. Il est affirmé que « Dieu a donné cette terre au peuple juif ». C’est au nom de ce texte que la moitié de la société israélienne prône aujourd’hui le « transfert », terme de novlangue qui signifie la déportation des Palestiniens au-delà du Jourdain. Le royaume unifié de David et Salomon n’a pas non plus existé. À l’époque, Jérusalem était un village. Il n’y a eu ni temple fastueux, ni reine de Saba. Or, le projet des colons, laïques ou religieux, consiste à reconstituer ce prétendu royaume.

La véritable histoire antique du Proche-Orient ne fait plus de doute chez les spécialistes. La société israélienne continue pourtant d’utiliser sans vergogne la Bible pour justifier la colonisation. Dans Comment le peuple juif fut inventé2, l’historien Shlomo Sand reprend la thèse de La Bible dévoilée et démonte le mythe sioniste. Avant même la destruction du temple en 70 après J. C., il y avait des communautés juives un peu partout, à Babylone, Alexandrie ou Rome. Selon l’histoire officielle, les Juifs d’aujourd’hui seraient les descendants du peuple de Judée chassé par la répression. Après deux millénaires d’errance de la diaspora (dispersion), le sionisme aurait enfin permis de mettre fin à cette « parenthèse ».

Il n’y aura pas de paix fondée sur l’égalité des droits et la justice au Proche-Orient sans une « dé-sionisation » de la société israélienne.

Sand explique que la population de Judée n’est pas partie. Les principaux descendants des Hébreux de l’Antiquité sont… les Palestiniens. Alors d’où viennent les Juifs ? Pendant plusieurs siècles et jusqu’à l’empereur Constantin qui consacre la victoire des chrétiens, la religion juive a été prosélyte. De nombreux citoyens de l’Empire romain se sont convertis. Plus tard, des Berbères ou des Khazars se sont aussi convertis, contribuant à la naissance des peuples séfarades ou ashkénazes. Sand s’interroge : à part la religion, qu’y a-t-il de commun entre un Juif polonais et un Juif yéménite ?

Contrairement à la légende sioniste, les Juifs ne constituent pas un « peuple-race ». Leur lien avec la terre de Palestine est fantasmatique, pas historique. Le « retour » en Palestine est un processus colonial. Sand va plus loin : l’existence d’un État juif (où les non-juifs sont des sous-citoyens) est un non-sens. En aucun cas (et les Palestiniens en font tous les jours l’expérience) cet État ne peut être à la fois « juif et démocratique ». La discrimination, l’inégalité, l’apartheid font partie de sa structure.

Bref, les contes de fées peuvent devenir un cauchemar. C’est à partir d’une histoire falsifiée qu’est né le « complexe de Massada », qui fait que les Israéliens se vivent comme des victimes et pas comme les citoyens d’un État qui détruit la société palestinienne. Il n’y aura pas de paix fondée sur l’égalité des droits et la justice au Proche-Orient sans une « dé-sionisation » de la société israélienne.


1 I. Finkelstein, N.A. Silberman, La Bible dévoilée, Bayard.

2 S. Sand, Comment le peuple juif fut inventé, Fayard.

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