Soulèvement au Maroc

Le Baroud de Sidi Ifni

Une ville du Sud marocain s’insurge et, quelle hérésie !, s’organise en assemblée, hors de toute obédience politique. Au grand dam des médias, aucun islamiste à l’horizon : black-out sur une de ces frondes qui essaiment dans le Maghreb, depuis Oran jusqu’à Redeyef (Tunisie).

IL EST 4H30, en ce samedi 7 juin2008, lorsque 5000 policiers et militaires lancent leur offensive sur Sidi Ifni, ville de 30000 habitants dans le sud du Maroc, à la frontière du Sahara occidental. Objectifs de l’invasion : débloquer l’accès au port devant lequel campe depuis une semaine une partie de la population et punir celle-ci d’avoir osé protester contre ses conditions de vie. Pendant plusieurs heures, flics, unités spéciales et CRS vont se déchaîner : bastonnades, tirs de balles en caoutchouc et lacrymo, pillage, portes défoncées, arrestations et humiliations en tout genre. Des témoins parleront de viols et de morts. Mais plusieurs membres de la soldatesque éprouvent aussi les qualités réputées de lanceurs de pierres de la jeunesse locale. Un chef de la police échappe de peu à la mise à feu de ses vêtements imprégnés d’essence. Certains Ifnaouis s’échappent par les toits. D’autres fuient dans les montagnes, poursuivis par des brigades canines et des hélicoptères. Certains redescendront dans la ville à la nuit tombée, se feront arrêter et rejoindront ceux déjà enfermés dans des bâtiments administratifs où, nus et les yeux bandés, ils seront tabassés et piétinés. Les quelques blessés qui se rendront à l’hôpital trouveront le personnel habituel remplacé par des auxiliaires militaires.

par JMB

Retour en arrière : le 30 mai 2008, en réponse à des offres d’emplois municipaux, un millier de jeunes se rassemblent devant la mairie pour assister au tirage au sort qui désignera les six « gagnants ». Népotisme ? Corruption ? La colère grandit devant le bâtiment officiel,au point qu’un groupe de jeunes chômeurs décide de paralyser le centre névralgique de la ville :le port de pêche, d’où partent quotidiennement en direction d’Agadir des convois de camions chargés de sardines. « Comment tant de poissons peuvent partir ainsi alors que nous crevons de faim et restons chômeurs ? », disent les premiers bloqueurs. Très vite, d’autres jeunes les rejoignent. Une centaine de camions sont bloqués. Des tentes s’installent, on apporte réchauds et matelas. Les familles préparent repas et collations pendant qu’une manifestation de plus de mille personnes parcourt les rues de la ville.

Tradition de résistance ? En 2005 déjà, Sidi Ifni, fief historique des tribus d’Aït Baamrane, réputées pour leur indocilité, s’était soulevé. Une assemblée informelle prend le nom de Secrétariat local et élabore cinq revendications : « Faire de Sidi Ifni une préfecture. Achever la construction du port de pêche. Améliorer les liaisons routières. Créer des emplois en construisant des unités industrielles de conserveries afin que cessent les passages clandestins et mortels des jeunes en direction des îles Canaries. » L’État répond en envoyant la troupe. Le 30 juin 2006, le préfet, venu participer aux cérémonies de la fête de l’Indépendance, est agressé par une petite foule. Il s’en tire avec une clavicule cassée. En décembre 2007, lors d’un passage de Mohammed VI, un participant du Secrétariat local viole le protocole en s’adressant directement au roi pour lui présenter les revendications de la ville.

Alors que Sidi Ifni, suite à l’intervention armée du 7 juin, est isolée du monde, des soutiens se manifestent à travers le pays. Une caravane rassemblant plusieurs centaines de voitures et de bus se dirige vers la ville assiégée. Le 22 juin, après avoir forcé le blocus policier, elle rejoint la population et forme un cortège qui rassemble 12 000 personnes et exige la libération des personnes arrêtées. Les participants de la caravane sont accueillis chez l’habitant. Mais la chasse aux membres du Secrétariat local continue. Rafles et arrestations nocturnes, chantages et menaces auprès des familles se multiplient. Des membres de l’Association nationale des diplômés-chômeurs sont accusés de rassemblement armé et de tentative de meurtre sur un policier en bande organisée. Après une quinzaine de jours passée dans la montagne, Bara Brahim, membre influent du Secrétariat local, est arrêté et soumis à la torture. Le 19 août, malgré la terreur, trois à quatre cents personnes décident de bloquer à nouveau le port. L’intervention immédiate de la flicaille provoque des affrontements qui se transforment en émeutes dans toute l’agglomération.

Pour tenter de restaurer la confiance, un simulacre de commission d’enquête « impartiale », composée de représentants de tous les partis politiques officiels, est créée. Mais le rapport parlementaire conclut que l’intervention des forces de sécurité était justifiée. Un député socialiste argumente : « Il n’y a aucune route d’accès au port à part celle qui traverse la ville. Il fallait bien enlever les barricades, ce qui a provoqué les affrontements avec les manifestants. Le port était sous embargo alors qu’il a une vocation de service public et donc d’intérêt général. » Intérêt général ? « Sans nos immigrés, nous serions morts de faim. Il n’y a qu’eux qui nous viennent en aide, alors que le port rapporte des milliards de dirhams. Maintenant, ils nous interdisent le port. Les marins qui vivent de leurs petites barques n’y ont plus accès. Plusieurs veuves survivent grâce aux paniers de sardines qu’elles vendent. C’est quoi ce droit ? On ne peut même plus vivre dans notre propre pays », répond vivement une habitante de Sidi Ifni. À ce jour, des centaines d’Ifnaouis sont encore enfermés dans des geôles innommables.

Comité de soutien à Sidi Ifni : soutien-sidi-ifni @ laposte.net

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