C’était il y a vingt-sept ans : contrairement à ce que l’on a voulu faire croire, jamais les Israéliens n’ont promis à Oslo qu’il y aurait un État palestinien sur les 22 % de la Palestine historique conquis par l’armée israélienne en 1967. Jamais ils n’ont renoncé à l’annexion de Jérusalem-Est. Jamais ils n’ont promis le moindre gel de la colonisation. Au contraire, pendant les 26 mois qui séparent la signature des accords de son assassinat en novembre 1995, le Premier ministre travailliste Yitzhak Rabin laisse s’installer 60 000 nouveaux colons. Jamais il n’a été question d’évacuer les territoires occupés. Au contraire, au lendemain du massacre de 29 Palestiniens à Hébron en 1994, Rabin a envoyé 2 000 soldats pour protéger les colons ; aujourd’hui, les uns comme les autres sont toujours dans cette ville où l’apartheid est une réalité quotidienne.
En face, l’OLP (Organisation de libération de la Palestine) a reconnu Israël sans même une mention dénonçant le nettoyage ethnique prémédité de 1948. Elle a changé sa charte. Elle a abandonné à leur sort les millions de réfugiés palestiniens dispersés (rien n’a été signé à Oslo sur le droit au retour des réfugiés) et les Palestiniens d’Israël, citoyens de seconde zone. L’OLP qui représentait les Palestiniens dans leur diversité géographique et politique a été mise en veilleuse au profit d’une « Autorité palestinienne » dont la principale tâche est de faire en sorte que l’occupé assure la sécurité de l’occupant.
En 1995, les accords de Taba ont parachevé ce « processus » : la Cisjordanie a été morcelée en trois zones A, B et C – la zone C étant, de fait, annexée par l’occupant. Des textes aussi incroyables que ceux qui validaient le contrôle total des importations ou exportations par l’occupant ou le fait qu’un colon consomme huit fois plus d’eau qu’un Palestinien ont été signés. Ça devait être provisoire, n’est-ce pas ?
Pendant des années, la « communauté internationale » a multiplié les pressions pour que les Palestiniens renoncent à leurs revendications essentielles, qui n’ont pourtant rien d’extraordinaire : la liberté, l’égalité et la justice.
Chaque fois qu’Israël construit de nouvelles colonies ou bombarde Gaza, il ne faut rien dire : ce serait une atteinte au « processus de paix » ou à l’aspiration au Graal : « deux États vivant côte à côte ». Pour les dirigeants israéliens, c’est du pain bénit : les crimes de guerre, la torture légalisée, les arrestations d’enfants, le vol des terres, les tapis de bombes sur Gaza … tout est permis, il n’y aura pas de sanctions. Par contre, s’il y a un attentat contre l’occupant ou une roquette partant de Gaza, les Palestiniens sont immédiatement condamnés comme « hostiles au processus de paix ». Les « négociations » ont pris des noms divers : Wye Plantation, Charm-el-Cheikh, le Quartet, Annapolis… Autant de masques pour exiger des Palestiniens qu’ils capitulent et acceptent de devenir les Amérindiens du Proche-Orient, enfermés dans leurs réserves et privés de tout droit.
Dans l’odieux, la France s’est signalée. Officiellement, elle est pour deux États et pour les résolutions de l’ONU. Dans les faits, elle soutient inconditionnellement l’État d’Israël, se tait quand l’occupant commet les pires massacres et organise à l’ambassade de Tel-Aviv un bal de solidarité avec l’occupant en pleine tuerie de « Plomb durci » (attaque israélienne sur Gaza en décembre 2008 et janvier 2009). Le gouvernement français a fait du Crif (Conseil représentatif des institutions juives de France), relais propagandiste des dirigeants israéliens, son interlocuteur privilégié. Il essaie de criminaliser l’antisionisme et le mouvement BDS (Boycott, désinvestissement et sanctions) contre l’État d’Israël.
Avec Donald Trump, il n’est plus question de faire semblant. Le président étatsunien renverse la table et piétine le peu qui reste de droit international. Il transfère l’ambassade de son pays à Jérusalem, reconnaît l’annexion du plateau du Golan (conquis à la Syrie en 1967) et proclame la légalité des colonies. En bon homme d’affaires, il exige des Palestiniens une reddition. Son discours est celui d’un gangster ; en substance : « Palestiniens, vous avez perdu, pourquoi résister ? On va transformer vos réserves en zones franches où nos capitalistes pourront faire de juteuses affaires. Vous êtes battus, acceptez, vous n’avez pas le choix. »
Trump pense que la période est favorable. Il a de solides alliés qui ont les mêmes méthodes et les mêmes « valeurs » que lui et qui, bien sûr, soutiennent inconditionnellement Israël. Il y a le président brésilien, Jair Bolsonaro. En visite officielle en Israël, celui-ci a déclaré devant Yad Vashem (mémorial du génocide nazi) que les nazis étaient de gauche : « Il n’y a aucun doute, n’est-ce pas ? » Il a à peine été démenti par ses hôtes. Il y a le Premier ministre hongrois, Viktor Orbán. Celui-là a entrepris de réhabiliter le régime pronazi de l’amiral Horthy, responsable avec l’occupant de l’extermination des Juifs hongrois. Orbán a multiplié les déclarations antisémites, mais Benyamin Netanyahou l’a qualifié de grand ami.
Trump profite aussi de la situation du monde arabe. La dictature égyptienne participe activement au blocus de Gaza. Le roi d’Arabie saoudite, dont l’armée participe à un véritable génocide [1] au Yémen, fait pression sur les Palestiniens pour qu’ils capitulent. Le camp « antiaméricain » est très affaibli et beaucoup de pays arabes ont pour préoccupation essentielle l’imminence d’une attaque contre l’Iran.
Et puis il y a l’Union européenne, dont la politique est un mélange de complicité et de lâcheté, pour ne pas dire de pure complicité.
L’historien israélien Zeev Sternhell, pourtant sioniste, compare « la fascisation » (ce sont ses termes) à l’œuvre en Israël avec ce qui s’est déroulé dans l’Allemagne des années 1930. Une idéologie raciste, militariste et suprématiste s’est imposée sans réel contrepoids. L’inégalité des individus selon leur origine réelle ou supposée est désormais inscrite dans la loi d’Israël qui se définit comme « l’État-nation du peuple juif ». Par ailleurs, la Cour suprême vient de valider l’utilisation par les autorités religieuses de tests ADN censés prouver « la judéité » des demandeurs du statut officiel de « juif » (dont beaucoup d’immigrants russophones). Même si ces tests ADN concernent un conflit interne à l’extrême droite israélienne, ils sont significatifs du triomphe des conceptions racialistes.
Le pouvoir est disputé entre deux criminels de guerre, Benyamin Netanyahou et « Benny » Gantz – ce dernier a été chef d’état-major de l’armée israélienne, notamment quand celle-ci a tué près de 2 500 civils à Gaza en 2014. Les deux compères ont été invités par Trump et approuvent bien sûr son plan. Il existe bien une petite minorité anticolonialiste courageuse, mais elle ne représente pas une alternative de pouvoir.
Ce régime d’extrême droite et ses relais (comme le Crif) s’acharnent à instrumentaliser l’antisémitisme et à récupérer la mémoire du génocide nazi. Et les dirigeants occidentaux soutiennent cette odieuse manipulation.
Dans un contexte extrêmement défavorable, pour l’instant le peuple palestinien plie mais ne rompt pas. Gaza est une prison à ciel fermé où l’occupant expérimente comment on peut enfermer deux millions de personnes, les priver d’eau potable et d’électricité et tirer sur des civils comme à la fête foraine. En Cisjordanie, les Palestiniens sont confrontés tous les jours à la violence des colons et de l’armée, au vol des terres et aux destructions de maisons.
Malgré cela, le peuple palestinien croit en l’avenir. Il persiste à tout faire pour scolariser les enfants, pour cultiver la terre, pour produire, pour ne pas être transformé en peuple d’assistés.
Entre Méditerranée et Jourdain, il y a 50 % de Juifs israéliens et 50 % de Palestiniens. Les uns ont tout, les autres quasiment rien. L’apartheid a duré des décennies en Afrique du Sud ou dans le sud des États-Unis, mais il a fini par s’écrouler. Trump ne connaît que le fric et la violence. Parions que, face à une véritable lutte anti-apartheid, il ne saura pas faire.
[/Pierre Stambul/]