Point de vue

Élections israéliennes : extrême droite contre extrême droite, comment choisir ?

Le 1er novembre, les Israéliens se sont rendus aux urnes pour la cinquième fois en moins de quatre ans. Derrière l’opposition factice entre le camp de Benyamin Netanyahou et une opposition réputée plus modérée, Pierre Stambul, porte‑parole de l’Union juive française pour la paix (UJFP), observe ce qui est en jeu : la poursuite de l’occupation de la Palestine et de la persécution des Palestiniens.

Dans les années 1980, en Israël, le parti Kach, ouvertement raciste, lançait régulièrement des appels au meurtre. Le Kach avait alors été interdit pour terrorisme. Aujourd’hui, ses héritiers, les députés Bezalel Smotrich et Itamar Ben-Gvir, alliés à l’ancien Premier ministre Benyamin Netanyahou, ont le vent en poupe. Ben-Gvir, qui avait appelé à l’assassinat du Premier ministre travailliste Yitzhak Rabin en 1995, vient de se faire photographier, pistolet à la main, dans le quartier palestinien de Cheikh Jarrah, à Jérusalem.

Un sondage révélateur

Interrogés par l’institut Panels Politics, 64 % des juifs israéliens se déclarent favorables à l’expulsion de tous les Palestiniens et des juifs « déloyaux » ! C’est précisément le programme de Ben-Gvir. Selon le même sondage, seuls 11 % des sondés se déclarent « de gauche ». Quelle gauche, peut-on se demander ? La présidente du Parti travailliste, Merav Michaeli, réputée « féministe » et « moderne », a twitté, lors du dernier massacre (dit « préventif ») à Gaza (49 morts, dont une grande majorité de civils, en août 2022), que où qu’ils soient, les membres du Jihad islamique devaient être « anéantis ».

Une dérive inéluctable

Israël s’est construit comme société sur le gigantesque mensonge selon lequel « après 2 000 ans d’exil, les Juifs rentrent chez eux ». La conquête coloniale impulsée par l’idéologie sioniste a eu dès le début le projet d’expulser le peuple autochtone et de le remplacer. Le nettoyage ethnique de 1948 a été prémédité. Les droits, la dignité et même l’existence du peuple palestinien ont été niés d’entrée. Tous les jours, les historiens découvrent de nouveaux documents sur les crimes de guerre commis en 1948, en 1967 et au Liban, ou sur la persécution et les discriminations subies par les Palestiniens qui ont échappé à l’expulsion, et cela n’a aucune conséquence. Les valeurs morales se sont largement écroulées dans le pays. Le fait de tuer des Arabes est devenu un argument électoral. L’ancien Premier ministre Naftali Bennett a ainsi déclaré en 2013 : « J’ai tué beaucoup d’Arabes dans ma vie, je ne vois pas où est le problème. »

Les colons

Il y a 30 ans, les colons1 étaient minoritaires dans l’opinion publique israélienne. Mais le rouleau compresseur colonial ne s’est jamais arrêté. Les colons sont aujourd’hui plus de 700 000, soit plus de 20 % de la population de la Cisjordanie occupée. Les colonies et le mur encerclent la plupart des villes et des villages palestiniens, transformant la Cisjordanie en « bantoustan » sans unité territoriale. Beaucoup de dirigeants politiques et militaires israéliens sont des colons. La loi « Israël, État-Nation du peuple juif », votée en 2018, définit le développement des colonies comme une valeur nationale. Beaucoup de colons sont armés. Certains d’entre eux agressent en permanence les Palestiniens et apprennent à leurs enfants à caillasser les écoliers palestiniens. L’apartheid n’est plus dissimulé. Si la propagande israélienne le conteste, il est totalement assumé en Cisjordanie. Les colons votent, quasiment à l’unanimité, pour les différentes factions de l’extrême droite2.

Une extrême droite hégémonique dans une société éclatée

Un célèbre dirigeant d’extrême droite français a dit un jour que « les électeurs préféreront toujours l’original à la copie ». C’est un courant prétendument « socialiste » qui a réalisé le nettoyage ethnique de 1948, qui a fabriqué un État juif où les non-juifs sont des sous-citoyens, puis qui a réalisé la conquête de 1967 et les débuts de la colonisation.

C’est logiquement l’extrême droite raciste et suprémaciste qui ramasse la mise. Elle a submergé la société israélienne. Elle est devenue hégémonique sociologiquement et idéologiquement et, tant qu’Israël ne paiera aucun prix pour ce qui est infligé aux Palestiniens, cette situation perdurera.

L’extrême droite a gagné dans l’éducation. Au jardin d’enfants, les petits fabriquent des tanks avec du carton. À l’école primaire, ils envoient des lettres aux soldats. Les programmes d’histoire leur apprennent que les Palestiniens sont des intrus qui veulent jeter les juifs à la mer. Le sionisme est devenu une religion d’État.

Elle a gagné chez les juifs orientaux et les Séfarades. Discriminés économiquement, victimes du racisme, sommés de faire disparaître leur « arabité » (culturelle et linguistique), ceux-ci ont délaissé la « gauche sioniste » au profit de partis populistes et religieux comme le Shas, d’un racisme sans retenue vis-à-vis des Palestiniens.

L’extrême droite a gagné chez les Russes. Des politiciens comme l’ancien dissident soviétique Natan Sharansky ou comme Avigdor Liberman ont su exploiter leur sentiment de déclassement pour en faire des colons sans scrupules.

Elle a gagné chez les militaires. On dit d’Israël que ce n’est pas un État doté d’une armée, mais une armée dotée d’un État. Les généraux soi-disant socialistes qui ont fondé Israël (Yitzhak Rabin, Yigal Allon, Moshé Dayan) ne se vantaient pas de leurs crimes. Leurs successeurs (Ariel Sharon, Rafaël Eitan, Rehavam Zeevi, Benny Gantz, Aviv Kochavi) ne s’embarrassent plus de subtilités : le « centriste » Benny Gantz s’est ainsi vanté d’avoir ramené Gaza « à l’âge de pierre ». Autrefois, tous les jeunes allaient à l’armée sauf les handicapés et certains religieux. Aujourd’hui, les pacifistes se font réformer tandis que les religieux ne boudent plus le service militaire. Délibérément, des jeunes de 18 ans ont été transformés en assassins lors des guerres contre Gaza. Résultat : l’armée épaule les colons dans les violences quotidiennes. Tous les jours, elle tue, parfois des enfants très jeunes. Et elle torture, la torture « raisonnable » ayant été légalisée par la Cour suprême.

Les religieux

Initialement, les juifs religieux étaient hostiles au sionisme. La religion juive est en effet une religion messianique : les rabbins s’opposaient à toute notion d’État juif tant que le messie n’était pas arrivé. Les dirigeants sionistes ont longtemps été agnostiques ou athées. La Bible, à laquelle ils ne croyaient pas, n’était pour eux qu’un prétexte à leurs conquêtes coloniales, sur le mode : « Dieu n’existe pas, mais il a donné cette terre au peuple juif. » Seul un courant minoritaire, celui du rabbin Kook, faisait la synthèse entre sionisme et religion.

C’est la conquête de 1967 et la décision (travailliste) de coloniser la Cisjordanie qui rend très vite les sionistes religieux idéologiquement hégémoniques. Leur livre de chevet, c’est le Livre de Josué, dans la Bible hébraïque, véritable apologie du nettoyage ethnique. Ils se sont alliés à la mouvance états-unienne des « Chrétiens sionistes », liés à la droite du Parti républicain et financeurs de la colonisation3. La moitié peut-être des colons sont des intégristes. Ils humilient, harcèlent et parfois tuent, en toute impunité.

Comment combattre l’apartheid ?

Les contradictions de la société israélienne (laïcs contre religieux, Séfarades et Orientaux contre Ashkénazes, Russes contre tous les autres…) traversent l’extrême droite et expliquent l’instabilité électorale. Mais fondamentalement, cette société d’apartheid, où une parole raciste et meurtrière s’est totalement libérée, se sent invulnérable. Rien ne changera sans sanctions. Les élections ne font que désigner un clan vainqueur. La seule chose qui fait peur aux Israéliens, c’est de perdre leur légitimité. D’où la stratégie consistant à assimiler l’antisionisme à l’antisémitisme, alors que les dirigeants israéliens sont alliés à tout ce que le monde compte de leaders racistes, autoritaires, voire néofascistes.

Ce pays s’est renforcé en devenant un modèle pour les technologies de pointe, les armes les plus sophistiquées, l’enfermement de toute une population (à Gaza) et la répression. Tout cela fait consensus chez les juifs israéliens, à l’exception d’une petite minorité anticolonialiste très courageuse. La grande majorité des Israéliens se disent offusqués qu’Amnesty International (après bien d’autres) qualifie leur État de « régime d’apartheid ». Dix minutes à Hébron suffisent pourtant à comprendre que ce qualificatif est totalement indiscutable.

Cet apartheid ne tombera pas de l’intérieur, et surtout pas par des élections. C’est à nous, sociétés civiles du monde entier, de convaincre nos concitoyens et de forcer nos gouvernements complices à sanctionner et à boycotter.

Par Pierre Stambul

Illustration de 6col, publiée dans le n°195 de CQFD (février 2021), pour un article intitulé "La solidarité pro-palestinienne est un sport de combat"

1 À côté de zones résidentielles périurbaines, les colonies israéliennes comprennent des dizaines de localités implantées au milieu des villes et villages palestiniens. C’est cette catégorie de colonies, où les milieux religieux radicaux sont surreprésentés, qui est plus particulièrement visée ici. (Les colonies construites dans les territoires palestiniens occupés sont toutes illégales selon le droit international, et pourraient constituer un crime de guerre selon le Statut de Rome de la Cour pénale internationale.)

2 Les Français d’Israël ont quant à eux plébiscité aux dernières élections Éric Zemmour et le député « centriste » Meyer Habib, proche de Netanyahou.

3 Pour les « Chrétiens sionistes », évangélistes et antisémites avérés, les juifs doivent revenir en Terre sainte afin de favoriser le retour du Christ, de chasser le Mal (c’est-à-dire les Arabes) et d’assurer la conversion des juifs à la vraie foi.

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CQFD n°214 (novembre 2022)

Dans ce numéro empli de gestes techniques incroyables, un dossier sur le foot business et ses contraires : « On rêvait d’un autre foot ». Mais aussi : la grève des raffineries, le procès-bâillon de BFM TV contre le journaliste Samuel Gontier, un reportage à Lampedusa, un entretien avec le réalisateur Alain Cavalier, un point sur l’extrême droite israélienne... En enfin : un appel à soutien où l’on fait la lumière sur les comptes du journal et les mirifiques salaires de ses rares employés rémunérés…

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