Le coût de l’indépendance
Du fric, ce serait chic (et le soutien c’est bien !)
Lecteur chéri, lectrice adorée, on te le dit tout net : c’est la mouise. Pas qu’on aime sortir les violons, mais à l’heure où ces lignes sont écrites, les caisses du canard que tu tiens entre les mains sont plus vides que le cerveau d’Hanouna. Le couperet barre l’horizon : au rythme où se creuse sa tombe et sans soutien de votre part, CQFD ne vivra pas bien longtemps.
On sait, ce n’est pas la première fois qu’on fait appel à vous. La dernière, c’était en 2019. Vous aviez répondu présent·es, en force, via notamment une pleine charretée d’abonnements qui nous avaient regonflé·es à bloc. Mais voilà : le monde des kiosques (qui se restreint d’ailleurs de plus en plus) est impitoyable pour les Chiens Rouges aboyant en toute indépendance sans rien lâcher de leurs convictions. Et on se voit de nouveau rattrapé·es par la patrouille financière.
Promis, c’est pas parce qu’on tape dans la caisse. On vous explique en détail.
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Premier constat, basique : pour sortir chaque mois un journal comme celui-ci, il faut de la maille. Ce que ça coûte ? Environ 140 000 euros à l’année1. Dans quoi part cette thune ? Dans les salaires, déjà, de ceux qui occupent des postes über-centraux : notre secrétaire de compète Vé, embauché à 24 heures/semaine pour s’assurer notamment que les abonné·es reçoivent bien le journal dans leur boîte aux lettres ; un secrétaire de rédaction (SR) à 32 heures/semaine, sniper de fautes d’orthographes et d’erreurs factuelles, aussi chargé de coordonner chaque numéro ; un maquettiste de premier choix qui se fait payer sur facture ses mises en pages classieuses ; ainsi qu’un co-SR et un SR pour le site internet, chacun rémunéré sur la base de 13 heures/semaine. Personne qui n’atteigne le Smic, donc. Et aucun d’entre eux qui ne triple pas ses heures à l’approche de la sortie en kiosques – c’est aussi le cas de certain·es bénévoles, d’ailleurs... Pour un journal historiquement rétif à la valeur travail, c’est pas rien !
Aux salaires, il faut ajouter les frais d’impression, les frais postaux, le loyer de notre petit local marseillais, sans compter la location de la photocopieuse, le défraiement des trajets pour les reportages à l’étranger ou les gros élastiques dont Vé fait une consommation pour le moins déroutante.
Et bim, 140 000 euros en tout.
En face, nos rentrées. Et clairement : elles ne suffisent pas. Ce que nous rapportent les ventes du canard ? Environ 90 000 euros. Auxquels s’ajoutent 10 000 balles de ventes de livres et de goodies, près de 12 000 euros de dons (merci à vous !!!) et 9 000 balles de subvention de la fondation Un monde par tous. Résultat ? À la fin, ça fait un trou d’environ 20 000 euros dans la caisse. Et ça, c’est pas bon, coco·tte.
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Au-delà de notre propre tambouille, c’est aussi une question de biodiversité des médias qui se joue là. Or une presse de qualité, libre et indépendante, indispensable au débat public, ça a un coût – qu’il s’agit de prendre en charge collectivement.
Alors c’est sûr, on serait certainement moins dans la mierda si on vendait notre âme à un magnat de la presse type Vincent Bolloré ou Xavier Niel ; à l’État en courant après les subs ; ou à de gros annonceurs anticapitalistes comme Coca ou BMW. Sauf que déjà, pas sûr qu’ils veuillent de nous, et puis l’allégeance, c’est pas vraiment notre came. Parce qu’on croit fermement que la critique sociale ne peut se déployer que dans l’indépendance. Sans patron, sans parti et sans compromis.
L’allégeance, c’est pas vraiment notre came...
Ce qu’on s’attache à faire depuis 2003, autant dire quasi vingt ans. Le credo de CQFD ? Creuser les sujets délaissés en se faisant les porte-voix des bâillonné·es. Et pour ça, tous les moyens sont bons. Régulièrement, on file ainsi en reportage à l’autre bout de la France ou du monde pour renseigner le sort réservé aux exilé·es et leur donner la parole ; on ausculte les luttes en cours ici ou ailleurs ; chaque mois, on offre une pleine page à une travailleuse du sexe qui nous livre son quotidien et ses coups de gueule ; et dans chaque numéro, on se penche sur un thème d’actualité (guerre en Ukraine, inflation, Coupe du monde), ou on s’efforce de réfléchir politiquement à un sujet qui nous tarabuste : les médias, le sexe, les drogues... Tout ça, grâce à la participation inestimable d’une armée de contributeurs et contributrices bénévoles (qui au clavier, qui au dessin, qui à la photo, qui à la correc’). Immense merci à elles et eux !
Ce serait quand même ballot que tout ça s’arrête pour une bête histoire de sous, non ? D’autant que des idées et des envies, on en a encore plein les tiroirs !
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Alors voilà, lecteur adulé, lectrice vénérée, CQFD a besoin de toi. Ainsi que chante Dame Ginette dans Les Visiteurs : « Par ici la monnaie ! » Pour filer la patte au Chien Rouge et l’aider à remplir sa gamelle, tu peux d’ores et déjà t’abonner, toi et ta smala (grâce au coupon de la page 23 ou sur notre site) ; nous faire un don (petit ou gros, wallah on n’est pas regardant·es) ; vider nos rayons bouquins et tee-shirts ; tanner ton kiosquier et ta librairie favorite pour qu’ils vendent ton canard préféré ou les employé·es de la bibliothèque de ta ville pour qu’ils abonnent leur structure. Wanted aussi, pour que le Chien Rouge puisse continuer, au moins une décennie de plus, à mordre et tenir, des motivé·es pour vendre CQFD en manif ou recouvrir les murs des villes et villages d’affiches et stickers. Nul ne doit ignorer CQFD !
Et promis, quand l’argent aura été aboli et que le soviet populaire de Marseille abritera nos locaux, on viendra plus jamais te tirer par la manche. On y travaille.
1 Et ça risque pas de s’arranger avec l’augmentation du prix du papier et de l’énergie.
Cet article a été publié dans
CQFD n°214 (novembre 2022)
Dans ce numéro empli de gestes techniques incroyables, un dossier sur le foot business et ses contraires : « On rêvait d’un autre foot ». Mais aussi : la grève des raffineries, le procès-bâillon de BFM TV contre le journaliste Samuel Gontier, un reportage à Lampedusa, un entretien avec le réalisateur Alain Cavalier, un point sur l’extrême droite israélienne... En enfin : un appel à soutien où l’on fait la lumière sur les comptes du journal et les mirifiques salaires de ses rares employés rémunérés…
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Paru dans CQFD n°214 (novembre 2022)
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Mis en ligne le 04.11.2022
Dans CQFD n°214 (novembre 2022)
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