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Edito et sommaire du n°169


paru dans CQFD n°169 (octobre 2018), rubrique , rubrique , par Alessi Dell’Umbria, L’équipe de CQFD, illustré par , illustré par , illustré par , illustré par
mis en ligne le 05/10/2018 - commentaires

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En une : "Le marché n’aime pas le bazar (guerre aux marchés populaires)" par Cyop&Kaf.

Édito : La mer à boire

« Les trois quarts des Français approuvent le refus d’Emmanuel Macron d’accueillir le bateau humanitaire Aquarius… mais une majorité a, “en même temps”, une bonne opinion des ONG qui aident les migrants », nous renseigne Le Figaro après un énième sondage sur les angoisses de marées migratoires agitant nos fiers concitoyens. Méchamment désarmé à l’heure d’expliquer un tel résultat, Gaël Sliman, président de l’institut Odoxa, file la métaphore psychiatrique : les Français sont « totalement paradoxaux voire schizophrènes sur cette question de l’accueil des migrants ». D’ici à ce que les sondés soient priés d’avaler quelques comprimés de lithium avant de répondre, en toute cohérence, aux questions des instituts...

Publié par le très droitier site Atlantico, un sondage du 18 août permet de se faire une idée du genre de questions soumises au populo : « Êtes-vous favorable ou opposé à ce que les migrants qui arrivent par dizaines de milliers sur les côtes grecques et italiennes soient répartis dans les différents pays d’Europe et à ce que la France en accueille une partie ? » Ce qui frappe d’emblée n’importe quel porteur d’esgourdes, c’est la quantité : « dizaines de milliers ». On ferme les yeux et on le verrait presque : cet encerclement de misère qui grandit et menace. Toutes ces bouches à nourrir, ces corps à héberger, ces cerveaux à éduquer alors qu’on nous répète à longueur de jités et de chroniques économiques que c’est en multipliant les serrages de ceinture qu’on sauvera notre modèle social du naufrage. Sachant qu’en outre l’époque ne s’embarrasse plus vraiment de pincettes question xénophobie, faut pas s’étonner que 54 % des interrogés fassent la grimace et acceptent de renvoyer les faméliques dans leur pays de désert ou de guerre.

Au printemps, une dizaine de bateaux humanitaires maraudaient encore en Méditerranée. Aujourd’hui, seul l’Aquarius reste en lice, coincé au large de Malte avec à son bord (gaffe à la déferlante invasive) : 58 naufragés. Le duce Salvini ayant fait pression sur le Panama, ce dernier a révoqué le pavillon accordé au navire de SOS Méditerranée. Voilà l’Aquarius cloué à flots. Excité par la prochaine mise à mort de ce « bateau pirate », le député LR Guillaume Larrivé barjaquait : « On doit saisir le bateau et on doit organiser le retour de ces personnes qui sont sur le bateau vers les côtes sud de la Méditerranée, ce ne sont pas des réfugiés. » Si on pouvait foutre tous ces perturbés de la glande xénophobe sur un bateau de croisière destination l’Antarctique, voire Pluton, les vacances que ça nous ferait. On renouerait même avec un minimum de santé psychique.

Actu de par ici et d’ailleurs

Les dernières nouvelles de la Zad d’Alsace - La rocade autoroutière au forceps > Malgré une forte opposition populaire, les travaux du Grand Contournement ouest (GCO) de Strasbourg viennent de débuter. Pour aider Vinci à défricher la forêt de Kolbsheim, police et justice se sont mises au garde-à-vous.

Retour sur les années Action directe - Jean-Marc Rouillan : « On a choisi d’assumer » > Militant révolutionnaire et écrivain, Jean-Marc Rouillan a tenu quelques années une chronique carcérale dans CQFD. Il vient de publier aux éditions Agone un livre revenant sur sa participation à Action directe, mouvement de lutte armée actif en France de 1977 à 1987. Le moment idéal pour lui laisser la parole...

Malbouffe et lutte pour l’emploi - Ça c’est passé comme ça chez McDonald’s… > À Marseille, au cœur des quartiers Nord minés par le chômage, le McDo de Saint-Barthélemy représente bien plus qu’un simple restaurant. Ulcérée par la ténacité de ce bastion syndical, la multinationale a tente de le liquider, mais elle a trouvé à qui parler.

Par Kalem {JPEG}

Mémoires torturées - Maurice Audin et les fantômes de la guerre française en Algérie > Le 13 septembre, Emmanuel Macron a reconnu que la disparition de Maurice Audin, enlevé à son domicile algérois par des militaires français, le 11 juin 1957, « a été rendue possible par un système dont les gouvernements successifs ont permis le développement : le système appelé “ arrestation-détention ” ». Et l’Élysée de promouvoir « une volonté nouvelle de réconciliation des mémoires et des peuples français et algérien ». Pour CQFD, l’historien Nedjib Sidi Moussa revient sur cette sombre période, au risque d’entrouvrir d’autres placards à fantômes.

Reportage à la Fête du cochon de Hayange - « Vous allez me faire pleurer… » > Vallée encaissée, ville oubliée. Hayange, ancien cœur flamboyant de la sidérurgie mosellane, n’a plus depuis les années 1980 que ses yeux pour pleurer. Ça, et une triste notoriété : en 2014, elle s’est donnée à un maire frontiste, Fabien Engelmann. Chaque année, celui-ci y organise une Fête du cochon, kermesse prétexte à un racisme débridé. Plongée dans un monde perdu.

Focus et analyses

Regards sur un pays à la dérive - Venezuela : complots, exode et décomposition > L’enlisement du Venezuela dans les marécages hydrocarburés d’un régime de plus en plus ubuesque reste source d’une grande interrogation. Le chercheur en science politique Fabrice Andreani et le journaliste Marc Saint-Upéry ont à nouveau accordé leurs violons pour nous livrer de concert une analyse plutôt serrée.

Antimilitarisme - La kaki au presse-purée > C’est un petit bouquin qui pèse pas lourd mais en envoie. Tristan Léoni est l’auteur de Manu militari ? – Radiographie critique de l’armée [1]. Il se demande entre autres pourquoi la Grande Muette a disparu des écrans radars de la critique sociale. Éléments de réponse.

Points de vue - Territoires en lutte contre Grands Projets > Dans son dernier livre, Le Monde des Grands Projets et ses ennemis [2], Serge Quadruppani explore les nouveaux territoires de lutte et les forces qui s’y confrontent. À son tour, Charles Reeve partage avec les lecteurs de CQFD quelques réflexions autour de ce petit essai.

Dossier : Le marché n’aime pas le bazar (guerre aux marchés populaires)

Par Marine Summercity {JPEG}

Samedi 29 septembre, à Marseille. L’atmosphère sur le marché de La Plaine est inhabituellement lourde, partagés que nous sommes entre la colère et la tristesse. Officiellement, c’est le dernier jour, le dernier marché… Les travaux sont annoncés pour la semaine suivante. La municipalité en a décidé ainsi, bafouant tout à la fois et sans le moindre égard trois cents forains et les milliers de gens qui le fréquentent depuis l’an pèbre.

Le marché, c’était un événement, souvent hebdomadaire, sur un site qui pouvait ensuite accueillir d’autres activités. On pouvait y déambuler en plein air sans but précis, et même sans acheter, pour le pur plaisir des sens et pour les occasions de rencontre qu’il offrait. Qui donc aurait l’idée d’aller flâner sous la lumière blafarde d’un hypermarché, où les clients ont l’allure affligée de ceux qui accomplissent une corvée ?

Nous avons tous entendu parler de la liberté du commerce, ce mantra qu’économistes et politiciens répètent en boucle depuis si longtemps. Liberté toute relative, car le discours libéral peine à dissimuler une évidence  : le libre jeu de la concurrence s’opère toujours en fonction de rapports de force et vers des positions de monopole. Si la tendance à la concentration est inhérente à la production de la marchandise, elle l’est aussi concernant la distribution. N’entre pas qui veut dans le game… Nous en savons quelque chose, après avoir vu dans le Marseille des années 1980 la municipalité et la chambre de commerce dénoncer d’une même voix le trabendo [3] qui amenait à La Joliette et à Belsunce tant de jeunes Algérois et Oranais… Au final, ces notables moisis auront réussi à casser l’une des dernières activités qui faisaient encore de Marseille une ville portuaire.

Qu’y a-t-il de comparable entre une multinationale qui fait fabriquer ses produits en Asie du Sud-Est et les écoule sur le marché de gros en Europe et, tout en bout de chaîne, un petit revendeur indépendant qui détaille sur le marché de son quartier un modeste stock de ces mêmes produits ? L’un comme l’autre participent certes d’un même circuit, mais à des échelles tellement différentes que toute comparaison serait déplacée. Le revendeur qui déballe sur le marché est sûrement plus proche de ses clients que de ses fournisseurs. Et sa position s’avère d’une grande précarité face à un double rouleau compresseur  : la multiplication des centres commerciaux en périphérie et la transformation du centre-ville en parc thématique.

Le projet de la mairie consiste à expulser les forains de La Plaine pour reconfigurer celle-ci – deux ans et demi de travaux annoncés, qui feront le vide tout autour. L’intention déclarée est que des brasseries telles qu’on en voit sur le Vieux-Port et au cours d’Estienne-d’Orves viennent ensuite occuper l’espace avec leurs terrasses  : le meilleur moyen de couper court à ces « usages déviants » de l’espace que pointait le cahier des charges… Aussi le marché, avec ses bruits et ses odeurs, avec ses arrangements et ses bons plans, devient-il un archaïsme face aux impératifs de la marchandise devenue totalitaire : trop d’angles morts, trop de désordre, trop de saleté, dit-on à la chambre de commerce…

Le maire (LR) du 4e secteur de Marseille, Yves Moraine, défend ce projet en disant qu’il ne croit qu’aux bienfaits de l’initiative privée pour assurer l’entretien de l’espace public. La distinction classique entre espace public et privé s’efface ici devant l’impératif de valoriser tout territoire urbain, y compris celui actuellement occupé trois matinées par semaine par un marché et pour le reste, par divers habitants et habitués qui s’y livrent à des activités scandaleusement gratuites – jouer au ballon ou aux boules, traîner sur les bancs en bavardant, organiser des festivités sans autorisation… Ce que dit froidement ce Moraine, avocat d’affaires par ailleurs, c’est que ce marché où tant de gens modestes viennent faire leurs emplettes ne génère pas assez de valeur et doit donc disparaître.

« On vend beaucoup de merde sur ce marché » , a dit Marie-Louise Lota, l’élue municipale en charge des marchés. Pourtant… Tel forain d’origine arménienne nous raconte que ses parents vendaient sur le marché de La Plaine des vêtements qu’ils fabriquaient eux-mêmes, tailleurs et couturiers artisanaux ; quand il reprit leur affaire, il fut plus facile pour lui de vendre des jeans, qu’il faisait fabriquer exprès ; puis arriva, avec l’ouverture des marchés au niveau mondial, le textile chinois  : il dut se résigner à vendre ces articles bon marché. Le forain en question conclut en disant  : « Ce sont ces politiques qui ont fait entrer les produits chinois sur les marchés européens, et ils ont le culot de nous reprocher maintenant de vendre du bas de gamme ! »

Quand la même clientèle va acheter les mêmes produits dans l’un des hypermarchés dont la Ville a encouragé la multiplication en périphérie, elle ne gêne personne. Condamnés à la réclusion dans les shopping malls, nous sommes invités à laisser le centre-ville à des néo-habitants nés sous d’autres poutres apparentes. Ce qui gêne le bourgeois, c’est que des gueux occupent un espace qui pourrait être investi par de grosses affaires, brasseries, restaurants chics et boutiques franchisées, et qu’en regard de ces perspectives de développement commercial, l’espace en question se trouve dévalorisé par notre présence. La Soleam ne se prive pas de faire miroiter aux propriétaires d’appartements de La Plaine la perspective d’une plus-value immobilière après rénovation… Quant au marché, une fois dégagés les forains et leurs clients, toute cette « population indésirable », il serait remplacé par quelques stands exposant des produits typiques et pittoresques – où le savon de Marseille que nous achetions à 1 € 50 le cube de 300 grammes sera vendu à 6 ou 7 €, savamment emballé et présenté. Et les cafés où nous nous retrouvions pour l’apéro en fin de marché seraient eux aussi « montés en gamme », selon l’expression favorite des aménageurs… Des Starbucks et autres enseignes surgiraient alors autour de la place, selon un schéma déjà éprouvé à Marseille dans le périmètre Euroméditerranée – la mairie a annoncé qu’elle préempterait les locaux commerciaux qui ne manqueraient pas de se libérer après les faillites consécutives à un chantier si long.

Le marché, l’agora de nos ancêtres grecs, fut longtemps l’espace public par excellence. « Achat et vente étaient l’occasion de commercer au sens ancien (et vieilli, hélas) de ce mot : d’entretenir des relations amicales, d’échanger des idées. C’était aussi le moment où l’on débattait de la vie de la cité, c’est-à-dire de politique. […] En somme la circulation des marchandises et de l’argent était imbriquée dans une circulation plus générale d’information et de décisions. […] En décrivant ce qui précède, j’ai délibérément employé le passé, car, comme chacun peut le constater, les marchés se font rares dans l’économie de marché. À tout prendre, mieux vaudrait parler d’ “ économie d’hypermarché ”, avec tout ce que cela comporte de choix imposés, de délocalisation, d’anonymat, de somnambulisme. » [4] Aujourd’hui, la défense du marché de La Plaine offre l’occasion de revendiquer l’agora comme lieu et moment de ce débat effectif, si longtemps étouffé par le spectacle de la politique.

Par Alèssi Dell’Umbria

Au sommaire du dossier

Marseille : guerre aux indésirables - Sur La Plaine, le marché des derniers jours > Bien décidée à « requalifier » la plus grande place de Marseille, la mairie a pour abcès de fixation le marché qui y campe trois fois par semaine et attire une population qu’on ne veut plus voir en ville. C’est que le souk, le bazar et toute la smala des vendeurs de rue incarnent aux yeux des élites un commerce honteux qu’il faut éradiquer à tout prix. Mais plus que la fin d’un marché populaire, c’est l’essence même d’une ville portuaire que l’on condamne à mort. Chronique sur le vif.

Entretien avec Michel Peraldi - "L’esprit du bazar était présent à Marseille" > Le sociologue Michel Peraldi a passé une bonne partie de sa vie à explorer les méandres d’activités commerciales souvent dénigrées et refoulées : le bazar des immigrés dans les quartiers phocéens de Belsunce, Noailles et les Aygalades. CQFD l’a fait parler de cette histoire à la fois centrale et souterraine.

Marché international de gros - Chez la « mafia » de la palette > À Perpignan, le marché Saint-Charles est une zone d’éclatement qui distribue fruits et légumes vers toute l’Europe. Dans ses entrepôts trime une main- d’œuvre pour laquelle le droit du travail est aussi fluctuant que les cours boursiers.

Bazar aztèque - Tepito, cœur palpitant de Mexico > Se promener dans le marché de rue de Tepito est une expérience unique. Au sein de l’immense ville, en plein XXIe siècle, se déploie une sorte de caverne d’Ali Baba peuplée de mille et un métiers, mille et une marchandises. Ici, les murs disent que « tout est à vendre, sauf la dignité ».

Dans les rues de Naples - Il vasto mondo degli ambulanti > Au pied du Vésuve, la vente de rue et ses bancarelle escamotables sont vieilles comme le monde. Les pauvres y ont inventé des codes, des gestes et une langue qui clament une richesse entrevue. Africains et autochtones s’y côtoient aujourd’hui. Mais ce n’est pas du goût de tout le monde…

Par Claire Favre-Taylaz {JPEG}

Et aussi...

Série TV - Des dieux sans foi ni loi > C’était l’une des questions centrales de l’épisode précédent de cette chronique, qui portait sur The Americans : qu’est-ce qu’être américain (quand on bosse pour le KGB) ? Ce mois-ci, variante sur le même thème, avec l’excellente série American Gods.


Notes


[1Publié en 2018 aux éditions du Monde à l’envers

[2Publié aux éditions La Découverte en 2018.

[3Commerce informel.

[4Guillaume Paoli, « Marchés obligataires », in "Éloge de la démotivation", Lignes 2008, pp.31/32.



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Par Alessi Dell’Umbria


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