Hommage
Adieu Chantal
La dernière fois que j’ai croisé Chantal, c’était en avril 2016, lors d’un bref passage dans la région nantaise. Cela faisait une quinzaine d’années que nous ne nous étions plus vus. Depuis la campagne pour la libération d’Abdelkarim Khalki1. Un ami m’avait emmené la voir dans le petit village, proche de la ZAD de NDDL, où elle vivait désormais. Je savais qu’elle se battait contre la maladie. Ayant eu l’occasion de reconnaître en d’autres temps la force intérieure qui l’animait, je ne fus pas surpris de la retrouver souriante et détendue. Ce jour-là, elle me dit qu’elle pouvait partir le lendemain comme dans deux ans… Devant la proximité d’une telle échéance, elle dégageait une sérénité que la plupart d’entre nous serions bien en mal d’atteindre ! Elle me parla de ses filles et de son fils, de ses petits-enfants, de la force qu’ils lui donnaient pour continuer de vivre. Nous évoquâmes le souvenir d’une grande amie qui avait aussi lutté contre la maladie et mis fin à ses jours en 1991. Chantal avait alors traversé le pays pour lui rendre une dernière visite…
La première fois que j’ai croisé Chantal, c’était en février 1986. Soit peu de temps après l’extraordinaire prise d’otages de la cour d’assises de Nantes, en décembre 1985. On m’avait indiqué son adresse, dans une cité HLM en bord de Loire. Quelques jours avant, à Paris, plusieurs lignes de métro avaient été paralysées par une action de sabotage en soutien à la grève de la faim d’Abdelkarim Khalki… Des affiches en hommage aux trois preneurs d’otages couvraient les murs de plusieurs villes du pays. J’étais venu en apporter une à la femme de Georges Courtois, sans trop savoir comment elle le prendrait.
L’accueil de Chantal fut aussi chaleureux que généreux. Elle m’accueillit avec ses deux filles, Chrystelle et Cécile, m’offrit à boire puis à manger. Pendant des heures, elle me raconta sa vie, ses galères… Elle savait ce que c’est que d’être enfermé – elle avait jadis tiré quelques mois à la vieille prison de la Roquette, à Paris, pour un vol de voiture en compagnie de son futur mari. Depuis, entre la prison où elle allait visiter Georges – quand le juge voulait bien concéder un permis de visite… – et l’hôpital où elle travaillait comme aide-soignante, elle avait développé une perception aiguë des souffrances humaines. Elle me parla de sa rencontre avec Georges quand ils étaient encore bien jeunes, de ce qu’il avait eu à subir depuis son enfance dans ces monstrueuses maisons de correction destinées à briser les âmes, et de sa résistance obstinée à la brutalité et à l’absurdité presque innommables de ce système judiciaire et carcéral que nous étions d’accord pour condamner sans appel. Elle me parla aussi d’Abdelkarim, pour qui elle éprouvait un immense respect. Elle avait su aussi prendre sa part de risques dans cette équipée de décembre 1985…
Chantal était la femme d’un taulard, mais ce serait lui faire injure que de l’enfermer dans ce seul rôle. Profondément révoltée, elle n’avait nul besoin de traduire cette révolte en grandes envolées lyriques. Il lui suffisait de témoigner aux siens cette générosité si rare en ce monde. Avec ses enfants, avec son mari, avec ses amis. La générosité faisait partie de sa révolte. Elle se traduisait aussi par une grande capacité d’écoute, et une curiosité intellectuelle qui n’avait rien d’affecté.
Chantal ne faisait la leçon à personne, mais sa simple façon d’être constituait une leçon. À la fréquenter, on réalisait la futilité de beaucoup de nos attitudes et la petitesse de certaines de nos réactions dans la vie courante. En tout cas, c’est ce que j’ai appris à son contact, lorsque nous nous rencontrions régulièrement durant la seconde moitié des années 1980. Le courage, c’est bien souvent d’assurer en toute discrétion ; de se montrer à la hauteur par rapport à son entourage quel que soit le prix à payer et sans attendre la reconnaissance. Chantal avait ce type de courage, qui n’est pas si fréquent…
Chantal s’en est allée dans les premiers jours d’août.
Pour en savoir plus
Lire la dernière interview de Chantal Vasnier : « Il n’y a que l’amour qui nous fait venir dans les parloirs ».
Et voir le très beau film de Stéphane Mercurio, A côté.
1 Auteur, avec Georges Courtois et Patrick Thiolet, de la prise d’otage de la cour d’assises de Nantes, le 19 décembre 1985. Lire Georges Courtois, Aux marches du palais – histoire d’un preneur d’otages, Le Nouvel Attila, 2015.
Cet article a été publié dans
CQFD n°146 (septembre 2016)
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Paru dans CQFD n°146 (septembre 2016)
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Mis en ligne le 19.09.2018
Dans CQFD n°146 (septembre 2016)
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