Dossier : La fourchette entre les dents
Autant d’articles que pour les 13 desserts du réveillon provençal à dévorer ou redévorer sans risque d’indigestion.
Hors-d’œuvre d’introduction et menu : ci-dessous.
Tout pour l’industrie agro-alimentaire et l’agriculture productiviste ! Tel pourrait être le slogan des fumeux États généraux de l’alimentation, lancés par Macron fin juillet et qui doivent traîner en longueur jusqu’à la fin de l’année. Exemple le plus caricatural de cette opération de communication destinée à légitimer le modèle alimentaire en vigueur, la présidence de l’« atelier » sur les relations entre grande distribution et paysans est trustée par des dirigeants de Danone et Système U. Mille excuses pour cette légumineuse qui sied si bien au couscous, mais ça sent le navet de la rentrée.
Mais la nourriture, c’est aussi celle qu’on vous prépare. Qu’on vous sert. Qu’on vous livre. Les petits plats populaires ou la grande cuisine. Le ragoût de mamie ou les sushis industriels apportés un dimanche soir par un livreur en sueur d’avoir trop pédalé. Le repas partagé entre camarades dans une cantine révolutionnaire ou la verrine néo-bobo totale-bio vendue à prix d’or dans une échoppe bourgeoise. C’est tout et rien, la bouffe – surtout quand on ne la prépare pas soi-même. À la fois le pire et le meilleur. Le pire de l’industrie alimentaire et de l’asservissement capitaliste. Et le meilleur de l’émancipation politique et culinaire. Sacré grand écart.
Ce dossier va faire de même – d’un extrême l’autre. D’un côté, les cantines, belles initiatives politiques qui se multiplient un peu partout pour fournir des repas de qualité à un tarif abordable et soutenir des causes qui le méritent. De l’autre, les établissements de tous poils qui, s’ils peuvent certes servir de la nourriture de qualité préparée avec soin (voire amour), s’inscrivent dans un rapport commercial classique visant à la production de plus-value. Ce que rappelle la chouette brochure À bas les restaurants – Une critique d’un travailleur de l’industrie de la restauration : « La logique qui fait s’affronter les travailleurs entre eux ou qui nous lie au manager dans un restaurant est la même que celle qui sous-tend les droits du citoyen et la déportation des sans-papiers. Le monde qui a besoin de démocraties, de dictatures, de terroristes et de police a aussi besoin de gastronomie fine, de fast-foods, de serveuses et de cuisiniers. »
Pour démarrer ce tour d’horizon (forcément partial et incomplet), le Chien rouge revient d’abord sur le dynamique exemple des cantines. En s’appuyant sur l’ouvrage Cantines – Comment faire à manger sans stresser à plein de gens qui ont faim, il s’essaye à une définition de ces lieux – entre autres critères, la solidarité plutôt que le caritatif, le recours aux produits locaux, l’autogestion.
Puis il revient sur quelques expériences emblématiques :
- La chouette trajectoire de Vincent, passé des établissements étoilés bruxellois à une cantine mobile de soutien aux luttes.
- Les 2 000 repas par jour qu’ont distribués à Calais et Idomeni les membres d’Artists in Action.
- Les « soupes communistes » du début du siècle, qui permettaient de nourrir des milliers de grévistes et leurs familles lors des grands conflits sociaux.
- L’activisme légumier dont font preuve des gens de Notre-Dame-des-Landes pour soutenir les grévistes.
- Mais aussi versant récupération, la tambouille branchouille servie par la cantine du « Voyage à Nantes », ersatz du genre pour les touristes et les gogos.
- Enfin, histoire que cette partie se finisse en banquet (comme dans une célèbre BD), le Chien Rouge vous propose une classieuse recette pour trente personnes : vous n’aurez plus d’excuse pour ne pas organiser de grandes bouffes collectives…
Vous n’en aurez pas non plus si vous utilisez du coulis de tomate industrielle pour votre pizza maison après avoir lu l’entretien avec Jean-Baptiste Malet, auteur d’un passionnant ouvrage sur L’empire de l’or rouge.
Et vous en aurez encore moins si vous avez recours aux services de livraison de repas à domicile : pressurés et ultra-précarisés,les livreurs à vélo gagnent difficilement leur vie. Mais s’organisent et luttent.
Les kebabs, eux, n’ont pas besoin de s’organiser : ils sont déjà partout, à Marseille comme ailleurs. À la fois symboles d’une triste uniformisation culinaire et lieux de restauration populaire attaqués par les gestionnaires urbains.
Ne pas oublier, pour autant, que la bouffe reste une notion éminemment subjective et intime – sauf quand l’industrie en prend le contrôle.
Dans ces cas, alors, une seule solution : court-circuiter le système. Et refuser l’addition : le resto-basket n’est pas fait pour les chiens.
Enfin, en guise de pousse-café, une petite série de brèves du meilleur goût, concoctées par la rédaction.
Dossier entièrement illustré par l’admirable Baptiste Alchourroun.
Cet article a été publié dans
CQFD n°157 (septembre 2017)
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Paru dans CQFD n°157 (septembre 2017)
Dans la rubrique Le dossier
Par
Illustré par Baptiste Alchourroun
Mis en ligne le 10.02.2018
Dans CQFD n°157 (septembre 2017)
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