Cantines en mouvement : Les marmitons de la révolte
De retour d’une tournée estivale avec la cantine-bibliothèque-projection Flurlgluplruql, Lionel avoue avoir été surpris par le succès de la première édition de Cantines, dont les mille premiers exemplaires sont partis en quelques mois. « On a eu plein de retours positifs de gens qui se sont emparés des recettes et surtout des principes d’organisation pour monter des projets de bouffe collective dans leurs villages. » De fait, si leur bouquin fourmille de conseils pratiques pour réussir une succulente cuisine collective sans s’épuiser, il conte aussi, sur une cinquantaine de pages, quelques aventures emblématiques des mille visages de la pratique cantines que depuis une dizaine d’années.
Manger pour vivre
Les organisateurs des repas de quartier « Les mardis, c’est permis », dans le Nord-Est parisien, ont bien cherché à présenter leur action comme un moment d’échanges, au-delà de toute étiquette. Mais pour les marchands forains qui leur donnaient des légumes comme pour certains voisins venus en curieux, ils ont souvent été perçus comme de gentils bénévoles faisant dans le caritatif, exclusivement pour les personnes dans le besoin. Avec le risque de voir une partie du public passer son chemin de peur d’être assimilé à des « pauvres ». La mise en place d’un prix libre plutôt que la gratuité n’y changeant pas grand-chose. Cet a priori est encore plus fort en situation d’urgence. Paul, le boulanger nomade, de passage par Calais, en témoigne. Dans les vastes camps où se concentraient les migrants en attente d’eldorado, rares et d’autant plus précieuses ont été les occasions pendant lesquelles il a pu sortir de l’humanitaire. Surtout avec la pression constante des flics, des fafs et du rapport à la thune.
Certes, ainsi que le racontent les participants de Food not Bombs à Dijon, la distribution de bouffe sur l’espace public reste perçue comme un acte militant médiatiquement sympathique, ce qui freine la répression. Elle a aussi permis à nombre de personnes de s’engager dans des luttes sociales par une porte facile d’accès. Plus facile, en tous cas, que de débouler directement dans une réunion d’antispécistes pratiquants. Ce qui l’est moins, par contre, c’est de trouver des produits à distribuer : la récupération sauvage des denrées – notamment dans les poubelles des supermarchés – est de plus en plus souvent empêchée par les gérants de la grande distribution et criminalisée par les interventions musclées de la Bac.
Manger local
Pour toutes les cantines, la question de l’approvisionnement est essentielle. Les occupants de la Maison de la grève à Rennes, outre les expéditions régulières de récup’ sur les marchés, ont rapidement tissé des liens avec les producteurs alentour, jusqu’à mettre les mains dans la terre en échange d’une partie de la récolte. Mais ça peut vite se révéler chronophage. C’est ce qui est arrivé aux Schmurts, un couple actif dans le grand Ouest, passé de la cuisine collective pour festivals de musique ou militants au maraîchage bio à plein temps sur des surfaces de plus en plus importantes. Utiliser des produits de qualité, bons à manger, sains et sans arnaquer personne, cela exige en effet du temps. Les Lyonnais de l’association Contresens, en sillonnant les routes menant aux paysans, épiciers et lieux divers d’accueil de cantines, se sont aperçus qu’ils avaient contribué à faire se rencontrer des gens qui, sur un même territoire, ne se connaissaient pas.
Cuisiner sans chef ?
Ce qui se noue entre les participants à ces aventures collectives et autogérées est souvent aussi important que le résultat final ou l’objectif financier. Pour les Tabliers volants, association de cuisine militante et participative qui a rayonné en France et en Europe, chacun doit pouvoir trouver sa place car tout le monde est capable d’éplucher des oignons ou de peler des patates. Pour un temps, au moins : difficile d’avoir une équipe qui tienne sur la durée sur la base du bénévolat. Et si dans la vie personne n’a envie de se coltiner un chef, il en va autrement en cuisine tant les tâches sont parfois fatigantes et ingrates. Pas évident non plus de rassembler réchauds et grandes gamelles en quantité suffisante… Parmi les pros de l’organisation de bouffe collective, ils sont plusieurs à reconnaître que c’est plus simple lorsqu’une ou deux personnes disposant d’une vision globale mènent la troupe. Surtout s’il y a 50 bénévoles qui préparent à manger pour mille personnes !
Festoyer partout
Dans la rue, un squat, un bar, un festival, sur un piquet de grève ou une Zad, tous les cantiniers s’accordent pour proposer à tous un festin digne des rois. Avec les moyens du bord ! À Rennes, les apprentis-cuistots ont fait fonctionner leur imagination pour élaborer des recettes épatantes même lorsque la récolte de légumes, en hiver, se limitait à des cageots de courges, de navets et autres panais. Car, ainsi que l’indique le préambule de Cantines, si la cuisine collective « doit répondre à la nécessité de se nourrir », elle doit aussi alimenter « le plaisir des estomacs, des papilles et de cuisiner ensemble. »
NDLR : Pour continuer à lire de la main à la main (prix libre) ou en librairie (10 €), un retirage de Cantines, avec cahier couleur et nouveaux entretiens, est programmé courant octobre. Adressez vos commandes à ail@riseup.net !
Cet article a été publié dans
CQFD n°157 (septembre 2017)
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Paru dans CQFD n°157 (septembre 2017)
Dans la rubrique Le dossier
Par
Illustré par Baptiste Alchourroun
Mis en ligne le 10.02.2018
Dans CQFD n°157 (septembre 2017)
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