Contrats aidés dans l’éducation ‑­ année zéro

Dans le secteur scolaire, quelque 23 000 personnes ont perdu (ou vont perdre) leur contrat aidé. Elles exerçaient pourtant des missions essentielles au bon fonctionnement des établissements : secrétariat, entretien, cantine, surveillance, informatique… État des lieux.

« Aïcha, c’était l’œil de lynx de l’école »

L’an passé, à l’école Vincent‑Leblanc, dans le 2e arrondissement de Marseille, il y avait une secrétaire. Elle s’appelait Aïcha et elle aimait son boulot : accueillir les enfants, recevoir les parents, répondre au téléphone, gérer des inscriptions… C’est elle, aussi, qui s’occupait des minots malades en attendant que leurs parents viennent les récupérer. Bref, elle donnait du liant, de l’humain à l’établissement. « Aïcha, c’était l’œil de lynx de l’école, la tour de contrôle », décrit Kaouther, une maman d’élève. Même son de cloche auprès de Jean‑Claude, le directeur : le travail d’Aïcha lui permettait de se consacrer à des tâches pédagogiques au lieu de « taper des listes d’élèves ». Mais le 28 juin, par un simple mail, Aïcha a appris que son contrat aidé (696 € par mois à temps partiel), qui s’achevait deux jours plus tard, ne serait pas prolongé. « J’avais déjà signé mon Cerfa pour le renouvellement, mais ça a été annulé. » Un an et demi et puis s’en va…

Le 20 septembre à Marseille, Aïcha, Kaouther, Jean-Claude et quelque 300 autres personnes se sont rassemblés devant la préfecture. « C’est complètement aberrant qu’en 2017, dans la deuxième ville de France, cinquième puissance économique mondiale, on soit obligés de manifester pour que des femmes qui remplissent des missions indispensables aient des contrats pourris, précaires », commentait Kaouther. Une délégation a été reçue par les services, mais rien à faire : Aïcha restera au chômage, avec son statut de travailleur handicapé, ses deux enfants et son mari qui bosse quand il trouve des missions d’intérim. « Pour gérer une famille, c’est pas évident. Surtout qu’on n’a pas eu le temps de se retourner… » Même retour à Pôle emploi pour Florence, Patricia et Hammama... Dans quelques semaines, ce sera le tour de Catherine (57 ans), Marianne (51 ans, qui « élève seule ses trois enfants »), Houyam (31 ans), Claire (58 ans) et les autres. « On est des jetables », observe Sadia, secrétaire à l’école d’Air‑-Bel, quartier déshérité du 11e arrondissement. Son contrat s’achèvera le 31 octobre.

Par Maïda Chavak.

Les parents à la cantine

Dans l’Éducation nationale, d’après des estimations syndicales, environ 23 000 contrats aidés (environ un sur trois) vont être supprimés cette année, dont plus d’un millier dans l’académie d’Aix-Marseille. Dans le premier degré, ce sont essentiellement les secrétaires d’école (AAD, pour « aide administrative à la direction d’école ») qui sont touchées. Leur mission est pourtant d’autant plus essentielle que ces dernières années, les tâches administratives demandées aux directeurs se sont amplement alourdies. « Et puis, l’école a changé, elle est forcée d’être beaucoup plus ouverte », remarque Pascal Pons, instituteur à Marseille et syndicaliste CGT. Ne serait-ce que parce qu’aujourd’hui, la gestion de «  la difficulté scolaire a été externalisée, alors que dans le passé, elle était en partie assurée au sein de l’école par les Réseaux d’aides spécialisées aux élèves en difficulté (Rased), qui ont été largement démantelés sous Sarkozy. (…) Aujourd’hui, les parents sont encouragés à se tourner vers des orthophonistes privés. Ils sont donc obligés de venir chercher leurs enfants pour les emmener à leurs séances pendant les heures de classe. » « Et quand je suis en classe, je ne peux pas ouvrir l’école », constate Jean‑-Claude, le directeur d’Aïcha.

Dans le second degré (collèges et lycées), les contrats aidés embauchés par l’Éducation nationale permettaient de « compléter les contingents de vie scolaire ». En d’autres termes, de boucler les effectifs de surveillants. Au rectorat d’Aix‑-Marseille, on envisage donc de « rééquilibrer les moyens restants », pour aider les établissements « là où il y a trop de pertes ».

Joie de la décentralisation, le milieu de l’école ne dépend plus uniquement de l’État, mais aussi des collectivités territoriales. Ayant à leur charge l’entretien des locaux et le périscolaire, celles‑ci étaient ravies de bénéficier des contrats aidés pour remplir ces missions. Et souffrent tout autant que les associations de soutien scolaire de leur disparition. À Sennecay, tout petit village du Cher, près de Bourges, la cantine était assurée par une employée communale et deux autres en contrats aidés. « J’ai appris le 18 août qu’on ne pourrait pas les renouveler. Je suis tombé de haut ! », nous raconte le maire, Gérard Rouzeau. Faute de temps pour trouver un plan B, à la rentrée, ce sont les élus, le personnel communal, les parents d’élèves et d’autres citoyens bénévoles qui ont assuré le service pendant une dizaine de jours. Jusqu’à ce que le député (LREM) du coin «  réussisse à débloquer un des contrats aidés. Mais c’est tout. On a été obligés de prendre l’autre personne en CDD, ce qu’on n’avait pas budgétisé. Ça va amputer notre budget d’investissement… »

Dans les collèges et lycées, la problématique touche les agents de nettoyage et d’entretien. Au lycée Saint‑-Exupéry (environ 1 800 élèves dans le nord de Marseille), « on a eu une trentaine de contrats aidés pas renouvelés. On a débrayé et réussi à obtenir dix renouvellements sur les 22 contrats qui dépendaient de l’État, mais la lutte continue pour les huit contrats gérés par la Région », témoigne Pascal Faure, enseignant et syndicaliste au Snes-FSU.

Vive le service civique !

« On soutient ces personnes, parce qu’elles retournent au chômage, expose Guilhem Paul, enseignant à Aix-en-Provence et syndicaliste de même obédience. Mais on n’est pas pour les contrats aidés ; ce qu’on demande, c’est qu’on leur propose de vrais contrats. »

Ça a l’air mal parti : le ministère a annoncé qu’il allait embaucher 10 000 services civiques pour le plan d’aide aux devoirs « Devoirs faits », lancé en grande pompe par le ministre Jean‑-Michel Blanquer. Et sur le site web de l’agence du Service civique, les établissements scolaires proposent des missions par dizaines. Ainsi, le 25 septembre, l’école élémentaire de Saint‑Laurent-de-la-Salanque (Pyrénées‑-Orientales) cherchait un volontaire pour « participer à l’accueil du matin », « accompagner les sorties scolaires », « contribuer à l’organisation et à l’animation des fêtes d’école », « accompagner les équipes éducatives dans la formalisation de projets à dimension partenariale (recherches de subventions, mise en place de convention…) », etc. Temps de travail ? 30 heures par semaine. Montant du salaire –- pardon, de l’indemnité, qui n’ouvre pas de droits au chômage : 580,55 €. Morale de l’histoire, pour la directrice d’école Claire Billès, secrétaire départementale du SNUIPP‑-FSU des Bouches‑-du‑-Rhône : « Dans la précarité, on peut toujours faire plus précaire. »

Clair Rivière

Au collège Belle-­de-­Mai : Quatre postes supprimés, « c’est le pompon ! »

« Ça commence à se sentir... » Ce sont les professeurs du collège Belle‑de-Mai, à Marseille, qui évoquent ainsi les mauvaises odeurs qui se répandent dans l’établissement. «  Les élèves de REP+1 avaient déjà l’impression d’être en seconde zone. Maintenant, c’est encore pire... » La faute à la suppression à la rentrée de deux personnes en emplois aidés, qui se chargeaient entre autres du ménage. Même si Batoul, professeur d’anglais et syndicaliste CGT, décrit une dégradation qui ne date pas d’hier : « L’eau chaude et le chauffage sont défectueux depuis un bail. Et voilà qu’on doit désormais nettoyer nos classes nous‑-mêmes... »

Au total, ce sont quatre postes qui seront supprimés d’ici fin octobre. Devant l’urgence, les enseignants ont suivi l’exemple du lycée St‑Exupery, en grève dès le premier jour de la rentrée. Tout juste ont-ils attendu quelques jours de plus, le temps de voir si le conseil général répondait à leur demande de moyens supplémentaires. Las, leur sommation est restée lettre morte. Alors, ce mardi 26 septembre, l’équipe enseignante s’est installée devant le bâtiment, chacun portant un sac poubelle. «  Le seul moyen de pression, c’est la grève », résume à travers les grilles Audrey, prof d’anglais. À ses côtés, une prof d’Italien, contractuelle depuis dix ans, dit aussi sa colère : « Être payée 1025 € par mois pour douze heures de classe hebdomadaires nous donnait déjà l’impression que le ministère se fichait de nous. La suppression des emplois aidés, c’est le pompon ! » Et la prof de répondre au gouvernement, qui prétend relancer la formation à la place des contrats aidés : « On est déjà formés, on n’a pas besoin de l’être davantage ! »

Guilhem, lui, entame sa dix‑huitième année au collège. Dix-huit ans à faire des maths avec des pauvres, c’est apprendre à compter avec un petit budget. « On veut des emplois, et on les préférerait bien sûr en CDI et titulaires. Mais dans tous les cas, il est impensable de laisser le gouvernement faire comme s’il s’agissait d’emplois inutiles. » Avec humour, il ajoute : « On va faire passer à nos élèves un Diplôme national du brevet en nettoyage, avec un oral en chantant la Marseillaise. » Surtout la Marseillaise !

Christophe Goby


1 REP correspond à Réseau d’éducation prioritaire – les écoles et collèges classés ainsi bénéficient, en raison des difficultés particulières de leurs élèves, de moyens supplémentaires. Un tiers de ces établissements sont classés en REP +, ce qui leur vaut d’être censément considérés comme « ultra‑prioritaires ».

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