Citizen Murdoch

News Corporation, troisième empire médiatique mondial dirigé par Rupert Murdoch et fils, n’en finit pas de payer le scandale des écoutes téléphoniques pratiquées par News of the World (NOW), ancien fleuron de sa filiale britannique News International.

Ébranlé par les mises en examen et l’incarcération de plusieurs de ses dirigeants et principaux journalistes, NOW, l’un des titres les plus anciens de la presse britannique, a été liquidé le 7 juillet 2011, laissant deux cents personnes sur le carreau. Au coeur de l’affaire, Rebekah Brooks, ex-directrice de News International, a été convoquée une troisième fois devant un tribunal de Londres, le 3 septembre dernier, pour « conspiration ». Elle aurait largement couvert, sinon encouragé, les méthodes d’espion utilisées par les journaleux de l’hebdo dominical.

Au-delà du dégoût ressenti face à la révélation du piratage des messageries téléphoniques d’une adolescente assassinée ou de soldats morts en Afghanistan, ce scandale met en lumière la proximité entre la presse de caniveau et la police. Le peu d’empressement de Scotland Yard à pousser ses investigations, initiées dès 2006, s’expliquerait par l’admiration des flics pour les pisse-copies de NOW et leur façon de mener les enquêtes : filatures croisées, manipulation de témoins, espionnage électronique de haute volée. Quand on apprend1 par ailleurs que nombre de policiers à la retraite se reconvertissent dans les rédactions de Murdoch et des autres patrons de la presse londonienne, l’insulte « journaflic » prend tout son sens.

L’autre intérêt du « Murdochgate » est assurément la mise au jour des liens étroits entre le magnat des médias et la classe politique britannique. La stratégie, guère originale, a été de toujours se placer du bon côté du manche. Margaret Thatcher a besoin de relais populaires pour asseoir sa révolution conservatrice ? Les tabloïds de Murdoch assassinent à longueur de colonnes la grève des mineurs tout en nettoyant en leur sein les velléités de contestation des syndicats de journalistes. En échange, le nabab recevra le contrôle de la télévision par satellite via le bouquet BskyB. Tony Blair doit faire front au rejet massif de sa participation à la guerre en Irak ? Il envoie son conseiller en communication, Alastair Campbell, ancien journaliste politique, « aider » la rédaction du Sun à rédiger ses éditoriaux de une. Pendant les dix ans de pouvoir travailliste, aucune commission anti monopole ou déontologique ne viendra inquiéter l’empire Murdoch.

Avec le retour des conservateurs au pouvoir en 2010, ces liens se resserrent encore. Il faut dire que l’enjeu est de taille pour News Corporation, puisqu’il s’agit désormais d’acquérir la totalité du capital de BskyB, véritable poule aux oeufs d’or au chiffre d’affaires de quatre milliards d’euros. Les choses semblaient bien engagées avec la nomination d’Andy Coulson, ancien directeur de la rédaction de NOW, comme responsable de la communication du nouveau Premier ministre, David Cameron. Quelques mois après son entrée en fonction, le ministre en charge des médias, Jeremy Hunt, oubliait opportunément de soumettre l’offre d’achat de Murdoch à la commission des monopoles. Las ! Le scandale NOW va faire s’écrouler le château de cartes, jusqu’au remplacement de Hunt, un ami personnel de James « fiston » Murdoch, le 5 septembre dernier. Cette fois les requins père et fils devront rester sur leur faim. Jusqu’aux prochaines élections.


1 « Pourquoi Murdoch se déleste d’un joyau devenu trop pesant », Jean-Claude Sergeant, Le Monde diplomatique, octobre 2011.

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