Allumons-nous les uns les autres !

S’il y a une jeune maison d’édition rebelle que j’entends soutenir bec et griffes, c’est bien Wombat avec son palmarès de textes couillus et poilants signés Robert Benchley, Takeshi Kitano, DDT, Topor ou S.J. Perelman, le dialoguiste de proue des Marx Brothers. S’il y a, d’autre part, un dessinateur pamphlétaire à qui je voudrais rouler une galoche dans son sépulcre, c’est bien le grand Gébé qui est à juste titre fêté comme le fricasseur de la véritable utopie française d’agit-prop des cinq dernières décennies1. Je fus dès lors mis dans tous mes états par l’annonce de la première publication en livre par Wombat de Tout s’allume de Gébé, le post-scriptum à L’An 01 qui était paru sous forme de feuilleton dans les Charlie Hebdo de l’été 1979.

Quelle ne fut pas mon excitation à la lecture de l’introduction de Wolinski et de la préface canon de Raoul Vaneigem. Et, ainsi que le soulignait le fute-fute Pacôme Thiellement dans sa postface, le livre avait déjà la dégaine d’une sorte d’utopie dans sa facture même avec son refus des

par Rémi

hiérarchies entre les formats et les genres (comics trip, reportage, sketch, nouvelle, chanson, roman-photo, maquette de films). Tout s’allume de surcroît commençait fort bien. On s’y retrouvait en pleine conspiration contre « les aberrations collectives » telle l’armée, on nous y poussait à des « opérations de déraillement », à des « pas de côté », et à l’ébauche de nouvelles méthodes de lutte : le brouillage de la publicité par « simple opération du cerveau  » ou le remplacement de la télé par la circulation de cassettes audio anonymes « véhémentes » posées, par exemple, sur les coffres des voitures.

Malgré ce contexte idyllique, il m’a fallu, trois fois hélas, déchanter. Les « fédérations d’individualité en expansion continue » de l’ouvrage visant à ce « qu’on passe d’une vie soumise à une vie pleine de possibilités inconnues », ne m’ont pas paru fort bandantes : elles se paient beaucoup de mots, ne foutent guère le bordel et se mettent à négocier avec l’État afin d’obtenir sans rire une « indépendance constitutionnelle ».

Il n’est toutefois pas exclu, les camerluches, que cette douche froide-là, Gébé ne nous l’ait sciemment administrée pour nous acculer à prendre le relais, à nous allumer nous-mêmes les neurones, à élargir allègrement nos niveaux de conscience critique, à ébaucher des plans d’action redoutables, à passer à l’offensive sur-le-champ.

À nos allumettes !


1 Il existe un autre chef-d’œuvre de la réimagination cocasse immédiate du monde, c’est le Krakatoa de la majuscule de l’anti-libraire belge Robert Dehoux qui reste, lui, ultra-confidentiel.

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