Dossier : La mort qui tue
Y-a-t-il une vie avant la mort ?
« Dans les premières minutes après la mort [clinique], la conscience n’est pas annihilée », affirmait récemment le docteur Sam Parnia, directeur d’une étude sur les expériences de mort imminente. Dans un monde déserté par les dieux, la science semble elle aussi vouloir alimenter le besoin d’espérance et proposer une issue – certes plus prudente que les récits détaillés de jardins d’Eden ou de rôtisseries infernales – à la fin des haricots. Mais si dans nos sociétés individualistes, livrées au profit et aux fausses promesses de la technologie, on meurt de plus en plus seul, d’autres sociétés cherchent encore à tempérer cette ultime ségrégation qu’est la mort. Au Mexique, lors du Día de los muertos, on dresse des autels à la mémoire des défunts et les proches « pique-niquent » sur leurs tombes. Mieux, à Madagascar, on « retourne » les morts tous les cinq ans durant les festivités du Famadihana, on danse avec eux, on leur fait un câlin, des cadeaux, on donne des nouvelles… En Indonésie, la famille exhume aussi les restes en secondes funérailles1.
Dans la Grèce antique, Hadès n’éblouissait pas les yeux des guerriers. Ce n’était qu’un épouvantail qui soulignait l’absurdité de la vie, et il y avait plus à craindre du déshonneur que de la mort. Ce qui ne signifie pas que le fier guerrier grec ne se laisse pas gagner par les chocottes lors du dernier passage. Comme le confie Achille à Ulysse dans L’Iliade : « Ne cherche pas à me rendre la mort douce, je préférerais être, vivant, l’ouvrier journalier d’un très pauvre paysan plutôt que de régner parmi les morts. » La vie ne vaut rien, mais rien ne vaut la vie.
En anthropologie, le culte des morts signifie le passage de la nature à la culture. Par la suite, tous les systèmes religieux et politiques ont prospéré sur les sacrifices humains, profitant du sentiment d’interdit ou de la galvanisation des masses face à l’évocation des défunts sacrés, tombés au champ d’honneur, martyrs de la cause et autres Viva la muerte. En France, on ne compte qu’une poignée de monuments aux morts qui portent une inscription comme « Maudite soit la guerre2 ». Le « Discours aux morts » d’Hector, dans La guerre de Troie n’aura pas lieu de Jean Giraudoux, reste un des plus puissants morceaux de littérature à écorner l’hypocrisie de l’héroïsme macabre : « La guerre me semble la recette la plus sordide et la plus hypocrite pour égaliser les humains et […] je n’admets pas plus la mort comme expiation au lâche que comme récompense aux héros. » La mort n’est pas une excuse…
Toutes les religions sont mortifères et, sous couvert de réconfort, cherchent à maintenir sous leur emprise les consciences des « pauvres créatures opprimées et soupirantes » par le chantage à l’enfer et au paradis. Ainsi, sur le site islamqa.info, à la question « La fille qui ne se voile pas, ira-t-elle en enfer ? », Al-Munajjid, imam salafiste saoudien, répond en une dizaine de langues : « On ne peut pas affirmer catégoriquement que celle qui abandonne le voile ira en enfer. Mais elle mérite un châtiment d’Allah pour avoir désobéi à Ses ordres. […] En revanche, celle qui obéit aux ordres de son Maître donc au port du voile, nous espérons qu’elle sera accueillie au paradis et sera protégée contre l’enfer et son châtiment. » On l’espère également, toutefois, pour ce prédicateur, l’entrée gratuite pour les filles, même voilées, n’a pas l’air garantie à 100 %… Érasme ironisait déjà dans son Éloge de la folie sur ces « savants de la foi » si prompts à distribuer les points d’entrée vers d’autres cieux : « Les théologiens savent décrire avec un luxe étonnant de détails les conditions qui règnent en enfer ; on pourrait presque croire qu’ils y ont passé des années de leur vie. » Le renoncement qu’impose les religions tient en concentré dans cette imprécation du curé Bossuet : « N’aimez pas le monde, car ce qui est dans le monde n’est que concupiscence de la chair. » – Mais toi, triste corbeau, si t’aimes pas la vie, n’en dégoûte pas les autres ! Écoutons plutôt le grand Omar Khayyam : « Pauvre homme, tu ne sauras jamais rien. Tu n’élucideras jamais un seul des mystères qui nous entourent. Puisque les religions te promettent le paradis, aie soin de t’en créer un sur cette terre, car l’autre n’existe peut-être pas. »
L’angoisse existentielle face à la mort est une perte de temps. « La chose au monde à laquelle un homme libre pense le moins, c’est la mort ; et la sagesse n’est point la méditation de la mort mais de la vie », jubilait Spinoza.
Comme le dit The Harder they come, cet hymne jamaïcain à la pure révolte, on ne gagne rien à se laisser gouverner par le marketing agressif de l’au-delà :
« Ils me disent qu’il y a un gros gâteau
là-haut dans le ciel
qui m’attend après ma mort.
Mais entre le jour où vous naissez
et celui où vous mourez
Personne n’entend vos pleurs.
Donc aussi sûr que le soleil brillera
Je vais prendre maintenant la part
qui me revient. »
Sans se cacher que le combat pour la dignité n’est pas sans risque :
« Je préfère être un homme libre dans ma tombe
Que de vivre comme un pantin ou un esclave. »
Vivre libre ou mourir…
1 Merci à Lémi d’Article 11 pour ce lien.
2 Citons Gentious, dans la Creuse, Saint-Martin-d’Estréaux dans le département de la Loire, Gy-l’évêque dans l’Yonne ou encore Equeurdreville dans la Manche...
Cet article a été publié dans
CQFD n°126 (novembre 2014)
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Paru dans CQFD n°126 (novembre 2014)
Dans la rubrique Le dossier
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Illustré par Lavergnolle
Mis en ligne le 27.12.2014
Dans CQFD n°126 (novembre 2014)
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