Rénovation urbaine
« Vous changez les volets en 2050, c’est ça ? »
La petite foule remplit lentement la salle de l’Espace culturel de La Busserine, dans les quartiers Nord de Marseille. La raison d’une telle effervescence, en ce 5 mai 2011 ? Des responsables et techniciens de la ville viennent faire le point sur l’ambitieux plan de « réhabilitation » du quartier. Au cœur du sujet : le recouvrement par une dalle de béton de l’avenue Salvador-Allende, axe routier à quatre voies longeant La Busserine et destiné à devenir un tronçon de l’autoroute de contournement de Marseille. Conséquences d’un tel réaménagement, deux bâtiments et une tour doivent être détruits. Mais les urbanistes promettent en contrepartie une nouvelle école et de nouveaux logements, des aire de jeux et de promenades, des rues transformées en lieux de vie et de convivialité, et un relogement pour les habitants déplacés…
Sur scène, un pool de techniciens s’apprête à lancer l’inévitable Powerpoint. Valérie Boyer, députée UMP des beaux quartiers et présidente du Grand projet de ville, déboule en s’excusant de son retard dû aux embouteillages provoqués par le passage en ville du ministre de l’Intérieur Claude Guéant. Elle prend la parole : « Ce projet est le plus grand de Marseille. C’est de l’argent public qui est mis dans nos quartiers. Tous n’ont pas la chance d’avoir ces rénovations… » Sans tarder, les privilégiés commencent à manifester leur ingratitude. Une voix venue du fond de la salle : « Les appartements, on les veut aujourd’hui ! » Tumulte. La députée rétorque : « Adressez-vous à vos bailleurs. Si nous sommes ici, c’est pour que les gens vivent mieux dans leur quartier, et pour cela il faut de la culture, des équipements sportifs, de l’emploi et de la voirie. Des appartements, vous en avez, vous en aurez et il y en aura… » « Ils n’ont rien fait depuis quarante-cinq ans ! On s’en fout de vos histoires ! Adressez-vous à eux ! », dit un homme en désignant les représentants de la Logirem et d’Habitat Provence Marseille (HPM), les bailleurs du quartier. Sur scène, un des techniciens intervient : « Laissez parler Mme Boyer ». De la salle, une femme lance : « On a le droit de parler. On n’est pas des chiens. Vous volez l’argent des locataires ! » Valérie Boyer : « Dans ce quartier, cent trente-deux millions d’euros d’argent public sont investis pour améliorer les conditions de vie d’ici quelques années… » « Et en 2050, vous changez les volets, c’est ça ? », lâche quelqu’un au fond de la salle. Aux techniciens de reprendre la situation en main en donnant quelques chiffres et en rappelant la très démocratique « concertation permanente avec les habitants du quartier ».
L’imam intervient : « Il n’y a pas de place pour la mosquée. Donnez-nous un terrain et on la construira avec notre propre argent. On ne veut plus prier dans la rue. Quand le chantier sera lancé, ce sera dans la boue que nous ferons la prière ! » Applaudissements dans la salle. Une mère de famille : « Il faut nous respecter ! » Une autre reprend, demi-conciliante, à l’intention du directeur de HPM : « Je ne suis pas contre ce projet s’il ouvre le quartier en supprimant cette cicatrice qu’est l’avenue Salvador-Allende qui isole un quartier comme Fontvert. Mais le quotidien des gens, là, aujourd’hui, c’est ça l’essentiel… » Le directeur l’interrompt : « Je vous connais depuis longtemps, madame. Et je connais bien votre discours. » Discours ? Tollé dans la salle : « Mais ce n’est pas un discours ! C’est la vérité ! » Confus, le directeur balbutie : « C’est la vérité… » La salle reprend : « Alors qu’est-ce que vous attendez, puisque c’est la vérité ? » Silence de l’homme en cravate alors que l’on échange des clins d’œil complices. Une déléguée du quartier prend la parole : « Vous êtes un bailleur défaillant. On est en droit de s’inquiéter sur ce projet de rénovation urbaine quand on voit comment vous traitez aujourd’hui les habitants, et ce que vous faites avec les logements. » Sur scène Valérie Boyer bavarde avec un technicien, téléphone et envoie sarkoziennement quelques SMS, face à l’assemblée qui profite de la brèche offerte par cette réunion pour déverser son trop-plein de colère. Dans la salle, les conversations vont bon train. Un des techniciens s’empare du micro pour tenter de clore la réunion. La députée trépigne. Peut-être craint-elle de ne trouver que du champagne éventé à son arrivée au cocktail célébrant le passage du ministre de l’Intérieur à Marseille ? Ce jour-là, Claude Guéant a promis le renfort prochain de cent trente-neuf policiers, la création d’un nouveau centre éducatif fermé, l’installation et le renforcement de la vidéosurveillance… Enfin du concret, et tout de suite !
Cet article a été publié dans
CQFD n°89 (mai 2011)
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Paru dans CQFD n°89 (mai 2011)
Par
Illustré par Mric
Mis en ligne le 28.06.2011
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