Urbanisme et catastrophe

Vent de panique, effet d’aubaine

Et si la catastrophe de Noailles permettait à la mairie de Marseille de réaliser enfin la gentrification massive dont elle rêve ?

Bientôt 2 000 évacués à Marseille. Et le chiffre augmente tous les jours. Une psychose de l’effondrement gagne les locataires, les bailleurs, les syndics et, surtout, les services municipaux. Certains ont senti le souffle du danger, et de la culpabilité, passer sur leur nuque. Si une nouvelle catastrophe survenait, et si par malheur il y avait encore des morts, le prix politique à payer serait très lourd. Sans doute fulgurant. Deux éditorialistes ont déjà réclamé la démission du maire Jean-Claude Gaudin sur Europe 1 et France Inter.

Après l’évacuation de la rue d’Aubagne entre la rue Moustier et la rue Estelle, puis de plusieurs immeubles de la rue Jean-Roque, le vent mauvais des expulsions préventives, « à titre conservatoire », s’est étendu sur le centre-ville et au-delà. Christophe Suanez, chef du service de prévention et de gestion des risques, a estimé, lors de la visite du ministre du Logement du jeudi 29 novembre, qu’«  en quelques jours, on en est à [l’équivalent de] quatre ans de procédures  ». Effort louable si on avait affaire à des gens bienveillants. Mais pour l’équipe Gaudin, il s’agit probablement à terme de « se débarrasser de la moitié de la population » du cœur de ville, qui « mérite autre chose »1.

« Alors là, c’est super ! »

Une certitude : ce zèle soudain dans l’application du principe de précaution est suspect. Surtout quand, sur les lieux du drame, le jeune ministre Julien Denormandie vient susurrer à Arlette Fructus, élue chargée du logement et présidente de Marseille Habitat, qu’« on va accompagner la mairie et la métropole pour accélérer tout ça, il faut aller beaucoup plus vite  ». Accélérer tout ça… Parle-t-il du relogement des sinistrés ou de l’éviction des pauvres du centre-ville ? On est en droit de se poser la question. Lorsque l’adjointe au maire, casque de chantier sur la tête, insinue en mode alibi que « le problème, c’est qu’on est dans un périmètre “ site classé ” et on a des instructions des Architectes des bâtiments de France de plutôt travailler à la réhabilitation qu’à la démolition  », le ministre macronien la rassure tout de suite : « Ça nous a valu beaucoup de critiques, mais on a modifié ça. […] On va laisser le dernier mot au maire. […] La loi a été votée et validée par le Conseil constitutionnel la semaine dernière.  » Ce à quoi l’intriguante Fructus répond, gourmande : « Avec décret d’application ? Alors là, c’est super !  »2 Quant au maire, on connaît le fond de sa pensée : « Nous avons pris d’un commun accord avec M. le préfet des arrêtés de péril pour pouvoir dégager l’ensemble de ce secteur. »3 Cet homme-là est un livre ouvert. Et il ne regrette rien.

Ceux qui réclamaient que l’État prenne la main en pensant affaiblir le vieux Gaudin en sont pour leurs frais. Et devraient tirer les leçons du passé : la mise sous tutelle de la ville en 1938 (après la gestion calamiteuse de l’incendie des Nouvelles Galeries) avait facilité, cinq ans plus tard – et avec l’aide de la Kommandantur –, l’expulsion de milliers de Marseillais et le dynamitage du quartier historique de Saint-Jean. Plutôt que d’éloigner encore plus les centres de décision, c’est un contrôle des habitants sur toutes les opérations urbanistiques à venir qu’il va falloir imposer.


  • Urbanisme et catastrophe – À Marseille, la mairie s’effondre et la ville se soulève > Huit morts sous les décombres. Pourtant, pas de bombardier américain à l’horizon, ni de dynamiteur allemand… Juste des spéculateurs, publics et privés. Mais qu’on érige un mur de béton autour de la Plaine pour imposer un chantier hostile ou qu’on laisse pourrir un quartier jusqu’à l’effondrement de deux immeubles sur ses habitants, c’est d’une même guerre qu’il s’agit. Celle que mène la mairie au Marseille populaire. À Noailles, huit personnes en sont mortes, écrasées sous les gravats et le mépris. À l’effroi a succédé la colère. Et un constat qui se propage : l’injustice n’a que trop duré.
  • La colère et la répression – « Gaudin, assassin ! » > Après les effondrements d’immeubles, la rue marseillaise a marché trois fois pour rendre hommage aux morts et demander la démission du maire. En face, ce ne fut que sadisme, matraques et grenades lacrymogènes.

1 Claude Valette, adjoint au maire chargé de l’urbanisme, dans Le Figaro, 2003.

2 Voir la vidéo « Julien Denormandie en visite rue d’Aubagne », sur lamarseillaise.fr

3 Sur BFM-TV, le 9 novembre 2018.

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