Peste VS choléra ?
Venezuela, la prophétie autoréalisatrice
À gauche, pour bon nombre d’amateurs d’analogies bancales et de visions campistes1 du monde contemporain, les derniers soubresauts du conflit vénézuélien sont l’opportunité de diffuser un récit simplificateur des événements que l’on peut résumer ainsi : un « président fantoche » adoubé par Washington tente de renverser ouvertement un gouvernement sud-américain victime d’une guerre économique et cible d’une campagne médiatique visant à faire croire au monde que le Venezuela souffre d’une crise humanitaire. Et ce pour s’emparer de son pétrole. Comme l’écrit l’éditorialiste cubain Rafael Rojas2, « les récits manichéens partagent une déformation de l’histoire de la crise vénézuélienne ».
Au Venezuela, on est tous le putschiste de quelqu’un. Hugo Chàvez le premier, puisqu’il s’est fait connaître en 1992 par un coup d’État (manqué). L’opposition également, dix ans plus tard, qui le renversa brièvement. Mais il ne faut pas remonter bien loin pour retrouver la genèse de l’épisode actuel. Durant plus d’une décennie, le chavisme d’État a exercé une hégémonie presque totale sur l’ensemble des pouvoirs publics, mais la gabegie économique, la disparition de Hugo Chávez en 2013 et la chute des prix du pétrole fin 2014 ont ouvert la voie au retour de l’opposition qui, en décembre 2015, a remporté deux tiers des sièges de l’Assemblée nationale. En position de minorité, le gouvernement décida alors de faire primer son maintien au pouvoir sur toute autre considération. En économie comme en politique, la logique de la survie à court terme s’est imposée. Ainsi, en 2016, le gouvernement proclama l’état d’urgence et décida de gouverner par décret, mit l’Assemblée nationale hors jeu et suspendit un référendum révocatoire qu’entendait convoquer l’opposition pour démettre le président. À la fin de la même année, alors que la crise économique s’approfondissait, le pouvoir décida de reporter les élections régionales, « la priorité n’étant pas de faire des élections », osa affirmer le président Maduro.
À chaque progrès de l’opposition, le régime a répondu par une fuite en avant autoritaire, violant la Constitution que Chávez avait fait adopter en 1999 et que défend désormais opportunément l’opposition qui l’a piétinée par le passé. Une Constitution que le pouvoir a fait mine de vouloir modifier en 2017 en faisant élire selon un mode de scrutin taillé sur mesure une Assemblée constituante qui remplace de facto l’Assemblée nationale. Et c’est cette même Assemblée nationale qui est justement aujourd’hui la seule institution reconnue comme légitime par une cinquantaine de gouvernements, dont celui de la France et des États- Unis, qui reconnaissent Juan Guaidó comme président intérimaire.
Dès les débuts de la révolution bolivarienne (1999), le chavisme a été contesté et critiqué, mais jamais les accusations n’avaient pu remettre en question sa légitimité électorale, doublée d’une légitimité sociale engrangée par la réduction des inégalités et de la pauvreté.
C’est cette perte progressive de légitimité couplée à une crise économique sans précédent qui a ouvert la voie à l’actuelle offensive internationale. Ne disposant pas du contrôle de l’appareil d’État, l’opposition a fait appel à la communauté internationale. Mais cet appui est à la fois la force et la faiblesse de son mouvement de pièces sur l’échiquier vénézuélien. L’intervention étrangère est grossière et certainement illégale au regard du droit international. Cette totale syntonie de l’opposition avec une administration Trump dont la sincérité démocratique ne dupe pas grand monde alimente le discours du gouvernement.
Pour le chercheur vénézuélien Jeudiel Martinez, « ce qui est en train de se passer est, en un sens, bien pire [qu’une intervention classique], dans la mesure où cet effet d’aubaine pour les États-Unis a été causé par l’extraordinaire échec du chavisme »3. Les États- Unis saisissent une opportunité, à faible coût, de faire d’une pierre… deux, trois, quatre, cinq coups dans leur pré carré hémisphérique – et notamment faire mal à Cuba au travers de son indéfectible allié et freiner les influences chinoise et russe qui ont jeté leur dévolu sur l’industrie extractive vénézuélienne. Si les États-Unis manoeuvrent au point de faire de l’ombre à Guaidó, ils ne sont pas seuls. La volonté du Groupe de Lima, composé de 14 pays américains, d’accentuer la pression a été déterminante. Pour eux, directement touchés par l’internationalisation de la crise économique vénézuélienne au travers des migrants qui fuient massivement le Venezuela, le gouvernement de Nicolás Maduro, à la tête d’un « État failli », est source d’un déséquilibre géopolitique régional. La déliquescence de son système de santé constituant même, en raison d’une recrudescence de plusieurs maladies, un risque épidémiologique continental, selon une étude4à paraître dans le magazine scientifique de référence The Lancet.
L’autoproclamation de Juan Guaidó comme président intérimaire le 23 janvier en a surpris plus d’un et confirme qu’il vaut mieux ne pas s’aventurer à faire des prévisions. Son discours de réconciliation et son ouverture envers le « peuple chaviste » contrastent avec l’agressivité des gens qui manoeuvrent le dossier à Washington ou avec la vulgarité des gouvernants à Caracas. Pour faire craquer l’édifice, les « assaillants » manient la carotte (amnistie) et le bâton (sanctions). D’abord en draguant les militaires, dans l’espoir d’une mutinerie de la troupe en souffrance et pour faire basculer des figures importantes du haut-commandement parmi les 2 000 généraux de l’armée vénézuélienne (le double des États-Unis !). Ceux-là mêmes qui – les mains dans l’extraction de ressources naturelles, le trafic de drogues, la contrebande, impliqués dans la répression ou la fuite de capitaux –, constituent le principal pilier du régime.
Mais la grande offensive des opposants a pris la forme d’une aide humanitaire internationale odieusement instrumentalisée à des fins politiques, à l’image de ce que fait le gouvernement avec l’aide alimentaire distribuée dans les quartiers populaires pour entretenir sa clientèle de citoyens devenus dépendants des aumônes de l’État.
La menace impérialiste tant de fois dénoncée pour exiger loyauté et faire taire la critique est aujourd’hui très concrète avec les menaces militaires de Washington. Un genre de prophétie autoréalisatrice en quelque sorte. « Qui, mieux que Donald Trump le “va-t- en-guerre”, pour dédouaner Nicolás Maduro de toute responsabilité dans la débâcle économique ? », écrivait déjà en 2017 Jean-Baptiste Mouttet pour Mediapart 5.
Dans une lettre imaginaire que Salvador Allende aurait pu envoyer à son homologue Nicolás Maduro, l’écrivain et ancien conseiller du président chilien, Ariel Dorfman, rappelle dans The Nation les parallèles et les différences entre les deux hommes et les deux situations6 : « Ce n’est pas seulement la souffrance du peuple vénézuélien que j’espère que vous pourrez éviter, mais quelque chose d’important pour tous les Latino- Américains. S’il est vrai que certains de vos problèmes sont dus aux actions des États-Unis, qui ont boycotté et subverti votre économie comme ils l’ont fait pour la nôtre, et ont provoqué un coup d’État contre votre prédécesseur, Hugo Chávez, je suis particulièrement préoccupé par la manière irresponsable dont vous avez mal dirigé votre pays, qui fait un tort incommensurable aux forces progressistes sur le reste du continent. »
Sur le même thème dans nos archives
- Venezuela : complots, exode et décomposition, analyse de Fabrice Andreani et Marc Saint-Upéry recueillie par Mathieu Léonard, octobre 2018.
- « C’est une curieuse guerre où Maduro réarme sans cesse ses ennemis », interview de Fabrice Andreani par Mathieu Léonard, septembre 2017.
- Bilan : Venezuela irréversible, Jacobo Rivero, mars 2016.
- Le chavisme prend l’eau, Fabrice Andreani et Marc Saint-Upéry, janvier 2016.
- La révolution à reculons ?, Simon Grysol, juin 2013.
- Cecosesola : la réflexion permanente !, Simon Grysol, juin 2013.
1 Le campisme est, principalement dans la gauche anti-impérialiste, une vision binaire héritée de la guerre froide qui conduit à défendre des régimes dictatoriaux sous prétexte d’anti-américanisme.
2 « Fausses analogies sur la crise vénézuélienne », sur le site Barril.info (08/02/2019).
3 « La antipática verdad que requiere una critica a las utopías », sur le site UninomadaSUR (20/02/2019).
4 « Investigadores advierten sobre riesgo de una emergencia de salud en América del Sur por crisis venezolana », sur le site Prodavinci (21/02/2019).
5 « Venezuela : pourquoi Trump est le meilleur ennemi de Maduro » (25/09/2017).
6 « Lettre imaginaire de Salvador Allende à Nicolás Maduro depuis l’au-delà », traduite sur Barril.info.
Cet article a été publié dans
CQFD n°174 (mars 2019)
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Paru dans CQFD n°174 (mars 2019)
Dans la rubrique Actualités
Par
Illustré par Kalem
Mis en ligne le 07.03.2019
12 mars 2019, 19:18, par Plataforma Solidaria de Comunicación
Nous vous inviton á suivre ce site web sur le Venezuela : https://venesol.org/ Plateforme de solidarité avec le peuple de la Révolution Bolivarienne au Venezuela. C’est de l’info serieuse. Salut.
20 avril 2019, 12:14, par Nikomouk
Rien qu’à ouvrir cette page et tomber sur la gueule du commandant galactique t’as compris que c’est une page de propagande de plus liée à misionverdad ( genre venezuelainfo et autres ) éditée á coup d’or extrait du désastre écologique de l’arc minier ! Saletés de vendus ! (Pour pas être plus vulgaire...)
20 avril 2019, 12:55, par Nikomouk
Les infos de barril.info sont bien plus sérieuses et bien plus fiables !!!
20 avril 2019, 12:25, par Nikomouk
C’est clair que les USA veulent le pétrole du pays. Mais ils ne le veulent pas gratuit. Ils payent comptant au moins. Pas comme la Chine qui nous le troque contre des produits de qualité plus que douteuse (qui ne seront jamais vendus en Europe) ou comme la Russie contre des armes ou comme Cuba contre le service de "médecins" à la formation douteuse qui prescrive le même cacheton pour toutes les maladies et en plus coûtent 1500$ en pétrole par mois chacun dans un pays où le smic est à 4$ aujourd’hui !
Alors soyons clairs que dans ce bas monde tous les gouvernements agissent par intérêt. Et malgrés tout peu de gens lambda émigrent en Chine, en Russie ou à Cuba. Por algo sera...