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Valeurs écocidaires
Dans un article de Reporterre intitulé « Zemmour, ennemi de l’écologie »1, l’historien Stéphane François résume le rapport du néo-candidat à la question écologique : « Le point […] à retenir de son discours sur l’écologie, c’est l’absence de discours. […] Sur le bien-être des gens, sur la pollution, sur la protection des milieux fragiles, il n’y a rien. » Et quand Z. s’enflamme (contre les éoliennes) pour la protection des paysages, « cela relève davantage de la nostalgie pour une nature éternelle que d’un réel intérêt pour la biodiversité ».
Une approche de l’écologie a minima et tortillée selon des œillères idéologiques, que l’on retrouve dans les colonnes de son supporteur Valeurs actuelles (VA). Lequel se pique pourtant parfois de faire la une sur la question. Ainsi du n° 4431 de l’hebdomadaire, en date du 28 octobre, qui affiche en couv’ un fringant ours blanc sillonnant pépouze la banquise sous le titre « Pourquoi la fin du monde n’est pas pour demain (ni pour après-demain) ». En parcourant le dossier en question, on comprend vite qu’il s’agit d’abord de plaquer sur le réchauffement climatique le chouinage habituel des réacs sur le diptyque repentance/victimisation qui entraverait la France. Le premier article, « Fin du monde, acte 26 », signé Mickaël Fonton, s’il déroule quelques critiques pas forcément infondées sur le côté barnum inutile des Cop, s’offusque surtout qu’on puisse pointer du doigt les puissances occidentales. Il faut dire qu’avant l’événement, le secrétaire général de l’ONU António Guterres avait osé dénoncer « la pollution carbone d’une poignée de pays […] qui a mis l’humanité à genoux ». Et l’auteur de prendre la mouche. « En voyant l’Occident [...] une fois de plus convoqué à la barre du tribunal climatique », il s’énerve, citant le vieux machin Pascal Bruckner : « Une partie du monde occidental veut mourir, rongé par la haine de soi [...], et le réchauffement climatique semble [lui] offrir des arguments supplémentaires pour nous précipiter dans la ruine. » Ça tombe bien parce que cette citation est tirée de la préface à un livre intitulé Apocalypse zéro, best-seller aux États-Unis tout juste traduit en France2. Signé par un certain Michael Shellenberger, il occupe 80 % du dossier de VA (bonnes feuilles et entretien).
Entre le magazine et Shellenberger, « ce militant écologiste américain qui a si bien démasqué l’imposture morbide des discours apocalyptiques », c’est l’amour. Et on comprend qu’un type qui a déclaré au Point que « sans les écolos radicaux, le monde irait mieux3 » émoustille forcément les ouailles de VA et les adeptes du CAC 40. Shellenberger, c’est le parfait client, passé par l’écologie radicale, mais revenu à un « pragmatisme » économique le poussant dans des raisonnements similaires à ceux de l’auteur de Greta a tué Einstein4. Une forme d’écomodernisme anticatastrophiste, basé sur une vision salvatrice de la technologie et de la croissance, avec, face au dérèglement climatique, la solution nucléaire en bandoulière. Dans son viseur, explique-t-il à VA, une « minorité d’Occidentaux riches, dépressifs et hargneux » qui crieraient à la catastrophe sans aucune base concrète. Ceci dit – on n’est pas à une contradiction près... –, les scientifiques en prennent aussi pour leur grade : « [Ce] sont les gens les plus ignares qui soient ! Ils soutiennent ouvertement des idées erronées, comme le fait que le changement climatique est train de détruire notre planète, que nous devrions tous [...] retourner à l’âge de pierre ou vivre dans des cabanes en forêt. »
Bref, un discours caricatural et contradictoire, permettant de poser sans vrai argument que, comme le rappelle Fonton, « l’alarmisme ne prend plus ». Soit la meilleure manière de ne rien faire pour enrayer la catastrophe en cours tout en vilipendant les vrais écolos.
Mais Valeurs actuelles n’est pas qu’une officine anti-écolo, c’est aussi un infatigable cracheur d’invectives réacs . Ainsi du n° 4425, en date du 16 septembre et titré « La folie verte, voyage au pays des nouveaux ayatollahs ». Cette fois-ci, pas d’ours blanc en couverture, mais un portrait peu flatteur de Sandrine Rousseau, laquelle semble vouloir éviscérer le lecteur de son regard écoféministe. D’ailleurs l’article qui lui est consacré s’appelle « Une harpie aux plumes vertes » – le ton misogyne est donné.
Le reste est du même tonneau, entre considérations atterrées sur le « sectarisme » des écolos et dénonciation outrée de leur adhésion « aux idées progressistes les plus grotesques ». Au gré de ces envolées, on note la parole donnée à quelques guests moisis. À l’image d’Homard de Rugy qui assène que « les écolos ont troqué la raison et la science pour l’émotion et le militantisme ». Ou de Daniel Cohn-Bendit, sorti de son formol néolibéral pour une sentence définitive : « Ils sont en train d’enterrer l’écologie. Ces gens sont malades. »
C’est un peu (beaucoup) ce qu’on se dit de VA.
Cet article a été publié dans
CQFD n°205 (janvier 2022)
Dans ce numéro vert de rage, un dossier « Pour en finir avec une écologie sans ennemis ». Mais aussi : une escapade en Bosnie en quête d’étincelles sociales, l’inaction crasse du gouvernement envers les femmes handicapées, l’armée qui s’incruste à l’école, des slips chauffants, des libraires new-yorkais atrabilaires, des mômes qui attaquent Disneyland…
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Paru dans CQFD n°205 (janvier 2022)
Dans la rubrique Le dossier
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Mis en ligne le 28.01.2022
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