Une utopie de rêve pour la nouvelle gauche flasque
Comment ne pas avoir le pépin pour les éditions Burozoïque ? À elles nous devons : le cocasse Répertoire des îles, décrivant des utopies insulaires de haute fantaisie susceptibles néanmoins d’« inspirer le réel », La Constituante piratesque de Mathieu Larnaudie axé sur le vivre-ensemble foutrement libertaire de la plupart des flibustiers des XVIIe et XVIIIe siècles et, surtout, l’exhumation de L’Humanisphère (1857) de Joseph Déjacque, la plus bandatoire utopie anarchiste jamais imaginée en dehors de celle du Nouveau Monde amoureux de Charles Fourier (Stock & Les Presses du réel).
L’An 2440 (1771) du député sans-culotte tendance pas-de-poil-au-cul (soit mi-jacobine, mi-girondine) Louis Sébastien Mercier, qu’a tiré de l’ombre il y a peu Burozoïque, devrait lui aussi donner le tricotin à ses nouveaux lecteurs de proue : les baudets montebourgeois et les andouilles voynetesques pour qui cette galéjade semble conçue. C’est que, dans le Paris 2440 « révolutionné », tout est source de rationalité, d’aménité, de tranquillité, de sobriété, de propreté, de piété, de beauté, de santé. C’est le pays de Cocagne pour les plats de nouilles écolo-bayrouto-socialos. La Bastille y a été remplacée par un temple de clémence. Le vulgaire ne se fait plus « culbuter par des voitures de maître ». Les visages sont débarrassés des « plâtres de pommade et d’orgueil ». Les vêtements sont modestes et fonctionnels. On regarde plus loin que le bout de son nez grâce à des microscopes et des périscopes. On ne picole plus. On ne fait plus cric-crac en pleine rue. On se nourrit de fruits et de légumes. On porte tous des chapeaux ronds. On s’adapte aux « lois irrévocables de la Nature et du Créateur ». On devient prévoyants pour quand la bise sera venue. On a des lectures éclairées (car on a envoyé péter Molière et on a brûlé l’œuvre du mécréant Malebranche – sic !).
Jambon à cornes ! si vous n’avez pas trop-trop envie de faire la révolution pour en arriver là, farcissez-vous plutôt les livres réellement séditieux du moment : Crédit à mort d’Anselme Jappe (Lignes), Le Sens du vent d’Arnaud Michon (Encyclopédie des nuisances), La Joie des barricades de Jean-Paul Dollé (Germinal) et le dernier Raoul Vaneigem, L’État n’est plus rien, soyons tout ! (Rue des Cascades).
Cet article a été publié dans
CQFD n°86 (février 2011)
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Paru dans CQFD n°86 (février 2011)
Dans la rubrique Cap sur l’utopie !
Par
Illustré par Rémi
Mis en ligne le 08.04.2011
Dans CQFD n°86 (février 2011)
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