Trois icônes de la déconne
L’historienne du féminisme Benoîte Groult ne semble pas du tout être une Marie Grognon, et on peut espérer qu’elle a à la chouette les Femen. Grâce à elle, notamment, on sait que tout plein d’hommes illustres faisant autorité étaient des SS (des salopards de sexistes). Du toubib Hippocrate qui décrétait que « la Femme est de nature humide, spongieuse et froide tandis que l’Homme, lui, est sec et chaud » à presque tous les porte-oriflammes de la Révolution française. Et elle retrace avec verve depuis une douzaine d’années l’épopée de la révolte contre ce qu’on appelait dans les seventies le « chauvinisme mâle ».
Dans Ainsi soit Olympe de Gouges (Grasset), Groult souligne que son héroïne a été la première gonzesse, en 1791, à formuler une « déclaration des droits de la femme » impliquant le droit au divorce, à l’union libre, à toutes les libertés, y compris sexuelles, la défense radicale des filles-mères et des enfants bâtards, et la mise au clou du droit patriarcal. Ce qui lui a vite valu, on s’en doute, de se retrouver raccourcie.
Petit retour sur notre coup de gapette à D.H. Thoreau du mois dernier. Dans son étude salée Thoreau, dandy crotté (éd. du Sandre), Joël Cornuault s’emporte contre les zouaves, de plus en plus nombreux, qui font de notre coureur de bois le « saint patron de l’écologie » et « le bon apôtre de la non-violence ». Alors que celui-ci était un monstre d’hétérodoxie ne sanctifiant ni la nature ni le pacifisme et invitant à l’insurrection anarchiste : « L’Église, l’État, l’École, la presse se croient libéraux et libres. Liberté d’une cour de prison, plutôt ! », ou encore « Rien ne rachète à mes yeux la bigoterie et la pleutrerie morale des habitants de la Nouvelle-Angleterre. » Et la critique acérée de l’économie aimante toute son œuvre. Ce qu’il préconise, et nous revoilà dans l’utopie concrète, c’est « la pêche, la chasse, la cueillette hors usage marchand », c’est l’auto-subsistance pratiquée par l’Indien et par de hardis cambrousards.
La bédé biographique Thoreau : La vie sublime, scénarisée et coloriée par Maxime Le Roy et dessinée splendidement par A. Dan (éd. Le Lombard) est également très excitante. Surtout qu’elle va constamment à l’essentiel en proposant de « sucer la moelle de la vie » tout en filant des chicoustas à ceux qui veulent nous en empêcher.
Dans les années 1970-1980, Franco Basaglia fut aussi une espèce d’icône contre-culturelle qui se déchaîna sans repos ni trêve contre « l’inertie des discours institutionnels et la sclérose des pratiques », qui fut à l’origine, en 1978, de la fin des asiles psychiatriques à l’italienne, qui mit sur orbite des communautés thérapeutiques ouvertes extrêmement libertaires définissant la maladie comme « la manière, propre à chaque sujet, de répondre aux contradictions de son monde ». On trouve, dans un numéro spécial des Temps Modernes (n°668), "Franco Basaglia, une pensée en acte", trois textes clés de lui, inédits en français, démontrant savamment qu’accepter la psychiatrie traditionnelle signifie « accepter de vivre dans un monde déshumanisé ».
Cet article a été publié dans
CQFD n°113 (juillet 2013)
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Paru dans CQFD n°113 (juillet 2013)
Dans la rubrique Cap sur l’utopie !
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Mis en ligne le 10.10.2013
Dans CQFD n°113 (juillet 2013)
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