Travailler moins pour rigoler plus

EN CE MOMENT, je suis un peu moins dans l’usine parce que je me déplace pas mal aux quatre coins de la France pour présenter mes bouquins, le film ou la bédé. Je suis pas mal sollicité et ça me plaît bien, il y a toujours des rencontres agréables à la clé de ces kilomètres parcourus.

Dernièrement, j’étais invité par la librairie anarchiste l’Autodidacte, à Besançon. Au cours de cette soirée, bien sympathique et qui s’est bien passée malgré le froid et la neige, j’ai rencontré un personnage qui, à lui seul, valait le déplacement.

Dès que j’aperçois Hubert Truxler, je sais que ça va le faire. Le personnage est d’emblée sympathique, le regard souriant, les cheveux clairsemés et la barbe blanche. Il travaillait chez Peugeot-Sochaux jusqu’il y a peu de temps : il est en retraite maintenant. Hubert est plus connu sous le nom de Marcel Durand (sic) auteur du livre Grain de sable sous le capot, paru aux éditions La Brèche en 1990 et réédité récemment chez Agone dans une version augmentée (cf. CQFD N°50, Morceaux volés).

Dans son livre, il raconte la vie au jour le jour d’un OS de base : les engueulades avec les chefs, les rigolades entre collègues, les grèves. En fait, Hubert a consigné tous ces faits d’usine dans un petit recueil ronéoté, Le clan des planches de bord qu’il distribuait à ses collègues. « Les anecdotes, les combines, les magouilles, et les gags d’un petit groupe d’ouvriers de l’empire Peugeot pendant la période faste. À travers ce clan, vous faire découvrir l’ambiance ouvrière au ras de la chaîne. Ce qu’est un OS. Ce qu’il fait. Ce qu’il pense. Car un OS, ça pense. Oui monsieur ! » C’est le sociologue Michel Pialoux qui, en découvrant ces écrits, a poussé Hubert Truxler à les faire paraître.

Mais ce que fait Hubert ne s’arrête pas là. Il fait partie de ces ouvriers récalcitrants comme on en trouve dans toutes les usines, mais lui l’exprime et le revendique. Ouvrier dans une usine de fabrication automobile, par exemple, il se déplace en stop ou en vélo, et c’est déjà un signe. Un de ses buts au boulot a été de faire rire ses collègues et il a toujours cherché à faire tourner en bourrique les chefs ou autres pour que tout le monde puisse se marrer (faisant circuler une voiture téléguidée à travers les chaînes d’assemblages, bloquant les téléphones, enflammant les balais). « Tout au long de ma carrière d’OS, j’ai tenté une approche de ma carrière qui était : ne pas m’investir dans le travail et ainsi garder l’esprit libre de penser à autre chose tout en travaillant », dit-il. Il a toujours milité pour le « Travailler moins pour acheter moins », adepte de la décroissance avant l’heure.

Les activités d’Hubert Truxler ne s’arrêtent pas à l’enceinte de l’usine, militant pour les sans-papiers ou contre le nucléaire, c’est aussi un artiste qu’on pourrait classer dans l’Art Brut ou dans l’Art Modeste. Il fait des sculptures d’allumettes (« pas des tours Eiffel pour Dîners de cons », dit-il), ou un catalogue de mode, où il se prend en photo vêtu (ou dévêtu) de fringues qu’il a confectionnées lui même à partir de récupérations. En ce moment trône encore dans son salon un igloo tout de feuilles mortes assemblées.

Bref, le personnage vaut le déplacement et si vous avez la chance de le croiser, n’hésitez pas !

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Paru dans CQFD n°55 (avril 2008)
Dans la rubrique Je vous écris de l’usine

Par Jean-Pierre Levaray
Mis en ligne le 05.05.2008