Foot & contestation

« Tout le monde déteste la ministre »

En plein mouvement social, la ministre des Sports a cru pouvoir venir assister sereinement à un match de football au stade Bauer de Saint-Ouen. Grossière erreur : dans les travées de l’antre du Red Star, on est en territoire militant.

« Et tout, le monde, déteste la répression ! » scandent en chœur les tribunes du stade Bauer. Ce 13 décembre, les supporters du Red Star de Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis) ont le cœur lourd. Leur tribune habituelle, baptisée « Rino Della Negra » – en hommage à un joueur du club entré dans la Résistance au sein du groupe Manouchian et fusillé en 1944 au mont Valérien – leur a été interdite. La cause ? Une sanction des autorités du football pour avoir utilisé des fumigènes dans les gradins quelques semaines plus tôt1. Les supporters rendaient alors hommage à un jeune membre des Red Star Fans disparu tragiquement.

Mais malgré la pluie battante, l’ambiance est comme à son habitude bouillante. Cantonnés à l’autre bout du stade, les supporters sont venus en nombre encourager leur équipe face à Quevilly-Rouen, sans oublier toutefois le mouvement en cours contre la réforme des retraites. Des chants anticapitalistes et des « Macron démission  ! » rythment la partie. Dans les gradins, certains brandissent une banderole conspuant la réforme, des écharpes de Sud-Rail ou un gilet jaune. À la mi-temps, la parole est donnée en tribune à un syndicaliste du dépôt de bus Pleyel à Saint-Denis, en grève, qui prend le mégaphone pour expliquer son combat.

Banlieue rouge

Le discours à peine fini, une rumeur se propage : « La ministre des Sports est dans le stade  ! » une poignée de supporters partis à sa recherche tombe alors nez à nez avec Roxana Maracineanu à la buvette. La ministre sortait de la loge présidentielle où elle était en compagnie du président du club et du maire de Saint-Ouen. Au menu de leur rencontre : les JO de Paris 2024. Saint-Ouen accueillera en effet le futur village olympique. Cette gigantesque opération urbanistique est déjà dénoncée par les habitants comme un projet de gentrification – le 9 novembre dernier, des travailleurs migrants manifestaient contre la démolition de leur foyer, censé laisser sa place au village des athlètes. Le stade Bauer, qui doit être reconstruit pour des questions de normes 2, pourrait faire partie de ce vaste chantier de requalification urbaine.

« Vous n’avez rien à faire là », lancent alors quelques fans à la ministre tout en lui expliquant être en grève contre la réforme des retraites. Une quinzaine d’autres supporters déboulent soudain de la tribune et forment un attroupement autour de Roxana Maracineanu. Sous l’avalanche des slogans « Nos retraites, vos profits », « Banlieue rouge  ! » et « Tout le monde déteste la ministre », les services de sécurité reculent de quelques mètres pour mettre la ministre des Sports derrière une grille où l’attend sa voiture. Un supporter l’interpelle : « Il n’y a personne pour Macron ici, alors tu prends ta voiture et tu t’en vas. » La berline noire démarre aux cris de « Casse-toi Roxana  ! » Fin de l’affaire ?

« Des animaux derrière des grilles »

Dès le lendemain, la presse mainstream fait ses choux gras de « l’exfiltration » de la ministre des Sports, allant jusqu’à parler « d’hommes cagoulés ». « Ce qu’il s’est passé hier est un condensé de ce qu’il peut se passer dans la société. Il y a eu un trop-plein de violence de la part d’une minorité de personnes », déclare Roxana Maracineanu, avant de comparer les supporters à « des animaux derrière des grilles » qui « prennent en otage le football ». Le président de la Fédération française de football présente ses excuses tandis que la direction du Red Star promet de prendre des sanctions contre les « fauteurs de trouble ». Trois jours plus tard, le parquet de Bobigny annonce l’ouverture d’une enquête pour outrage envers la ministre.

« Je reviendrai à Bauer », narguait Roxana Maracineanu au lendemain du chahut. On tient le pari ?

Mickaël Correia

1 Depuis la loi dite « Alliot-Marie » de 1993, les fumigènes sont interdits dans les enceintes sportives, sous peine d’une amende et d’une peine de prison. Cette interdiction constitue un point de crispation entre les autorités du football et les fans pour qui les « fumis » constituent un élément d’animation essentiel dans la culture « supporter ».

2 Au grand dam des supporters qui ont milité durant de longues années pour sa rénovation.

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