La fable du rat qui voulait foutre une branlée au porc

Rat rouge et ligne noire

D.R.

La dernière fois que les rues d’Amsterdam avaient servi de paillasse à des chars de combat, c’était pendant la Seconde Guerre mondiale. Là, on est en mars 1980 et cinq tanks équipés de pare-chocs de bulldozers pavoisent dans la capitale néerlandaise. Un millier de flics quadrillent le quartier de Vondelstraat. En face, les krakers (appellation batave pour désigner les squatters) ont érigé une vingtaine de barricades. « Ici, c’est les CRS... Dernier avertissement !! Évacuez les habitations !!!! », hurle un flicard à trogne porcine. « Jamais !! », rétorquent les militants à face de rat. Les pages suivantes listent l’arsenal employé par les groins (de l’ordre) pour écrabouiller les museaux (de la colère) : unité mobile, chiens, canons à eau, gaz, voltigeurs, hélicoptères, élévateurs à nacelle, armes à feu, tireurs d’élite, jusqu’aux fameux blindés chargés d’aplanir les barricades. Nourrie de la fièvre Provo depuis les années 1960, la chienlit amstellodamoise méritait ce coup de tatane bunkérisé.

Voilà une des séquences au menu des Aventures de Red Rat co-publiées par les éditions Black-Star et Le Monde à l’Envers. Deux tomes déjà parus tandis que le troisième est attendu en ce mois de novembre. Johannes Van de Weert – du collectif d’artistes DUBIO – peaufine son héros au début des années 1980. Quelques planches ronéotypées tirées à 250 exemplaires et lâchées pour la modique somme de deux florins et demi (un euro). Un petit succès populaire au rendez-vous, qui permettra d’augmenter le tirage et de prolonger l’aventure sur plusieurs années. Plus de trente ans après, la lecture de cet Ovni ferait naître des bananes jubilatoires sur n’importe quelle paire de lèvres. La force d’un dessin réduit à sa plus simple expressivité : un noir et blanc taillé à la va-vite mais qui sait viser juste. Instinct du caricaturiste dont la plume agit comme un révélateur des vilenies de l’âme humaine, des ententes crapuleuses entre tireurs de ficelles, de ces tensions sociales qui font que la mangeoire des porcs débordera de victuailles toujours plus florissantes tandis que les rats devront se contenter des miettes échappées des conteneurs à ordure.

Storyboard de chronique et de critique sociale : les aventures du rat rouge agissent à la manière de ces poussées tectoniques qui font craqueler le vernis de nos démocraties soi-disant apaisées. La pugnacité du mouvement squat néerlandais témoignait d’une chose : face à la pénurie et à la cherté de logements, il appartenait aux classes populaires (les rats !) de s’organiser et de balafrer la concorde sociétale au son de leurs couinements revendicatifs. Groin humide et poil ras, les porcs n’ont rien d’autre « à offrir que la misère, la guerre et du chagrin ». On espère que nos amis les cochons nous pardonneront ce zoomorphisme un peu facile. Un détail encore, histoire de faire flancher les derniers hésitants : l’impeccable traduction a été assurée par le maestro Willem.

Sébastien Navarro
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