Appel à soutien éditorial
Pour que le monde reste à l’envers
Il y a des gens qui croient qu’il faut de l’argent pour lancer de classieux projets. Qui alignent les chiffres et multiplient les prévisions comptables. Et puis, il y a les autres. Les passionnés. Qui se fichent comme d’une guigne de savoir s’ils vont retomber sur leurs pattes. Heureux renversement parce qu’ils en refusent la sinistre logique, ce sont ceux-là qui mettent le monde à l’envers.
Ça tombe bien il y a huit ans, c’est justement le nom que quelques Grenoblois.es ont décidé de donner à leur maison d’édition – Le monde à l’envers. Eux se sont lancés ainsi, sans rien connaître à l’art de faire des livres et (presque) sans un sou vaillant. En fouillant leurs poches et celles des amis, ils ont réuni 2000 €. De quoi imprimer un premier livre, distribué à l’arrache. Depuis, il y en a eu beaucoup d’autres, choucards et (souvent) passionnants.
Le Monde à l’envers voit le jour en 2010, dans le prolongement d’une belle agitation grenobloise contre la vidéosurveillance – d’où le premier bouquin, Sous l’œil des caméras. « On voulait à la fois soutenir les luttes locales et toucher des gens n’appartenant pas au cercle militant, résume Julien, l’un des cinq piliers de la maison. Se lancer dans l’édition, c’est aussi rentrer dans les librairies et bibliothèques. Un livre permet de ne pas parler qu’aux convaincus. » En découlent deux autres idées fortes, au cœur du projet éditorial. De un, faire des livres accessibles le prix est calculé au plus bas, juste de quoi rembourser les coûts de production. Et de deux, proposer des bouquins attractifs. Ainsi, très vite, la plupart des couvertures sont sérigraphiées – une curiosité dans l’édition.
Mais la petite équipe bénévole (qui peut compter sur de nombreux coups de mains amicaux), ne se contente pas de sérigraphier. Elle travaille les textes, puis imprime les ouvrages sur son duplicopieur Riso1, avant de les assembler. « En général, on passe une journée à imprimer, une soirée à assembler, une journée à encoller et enfin deux jours à sérigraphier les couv’. » À cela, il faut encore ajouter la diffusion et la distribution (que l’équipe a longtemps gérée elle-même avant de la confier à Pollen, un distributeur professionnel). Bref, un travail de fou.
Il y a quelque chose de sacrificiel dans cet investissement sans fin. Question de convictions, bien sûr. Il faut croire au pouvoir des livres. Et s’inscrire dans les luttes – beaucoup des ouvrages publiés relèvent du courant anti-tech et de l’écologie radicale. Au catalogue aussi, la belle revue De tout bois : huit numéros depuis l’hiver 2014, pour faire vivre et connaître le combat contre le projet de Center Parcs à Roybon. Tout va donc pour le mieux (éditorial) dans le meilleur des mondes (militants) ? Pas totalement. En partie victime de son succès, la maison vient de lancer un appel à soutien, ouvrant un crowdfunding sur HelloAsso. Elle explique être confrontée à de « nouvelles contraintes » qu’elle n’a pas su anticiper : « Stockage, multiplication des démarches administratives, retirage de livres épuisés, temps important consacré à la fabrication, la diffusion et la distribution, etc. Nous avons découvert qu’on ne gère pas de la même manière une maison qui vend 500 exemplaires d’un livre ou 3000 exemplaires avec un catalogue étoffé. » Les charges augmentent, mais la maison « est toujours fauchée », rigole Julien. Le hic, c’est qu’il faut de l’argent pour financer deux gros projets à venir la suite de la belle (et copieuse) BD Disgrazia , de Coline Picaud, et la réédition d’un livre fondamental sur les années de plomb italiennes. Ça mérite un petit coup de pouce – ou alors, on te met le monde à l’envers.
1 À l’exception des plus gros bouquins, qui passent par un imprimeur.
Cet article a été publié dans
CQFD n°164 (avril 2018)
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Paru dans CQFD n°164 (avril 2018)
Dans la rubrique Bouquin
Par
Mis en ligne le 02.09.2018
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