Post-human wars ?

Ah, ces foutus Étatsuniens et leur représentation manichéenne du monde  ! Dans un manifeste1 publié cet été, des centaines de chercheurs massés derrière un Stephen Hawking ou un Noam Chomsky nous ont resservi la distinction entre la bonne science qui apporte toujours davantage de progrès à l’humanité et la mauvaise science qui conduit à fabriquer des robots tueurs, pardon, des systèmes d’armes rendus autonomes grâce aux perfectionnements de l’intelligence artificielle (IA). Sans aller jusqu’à un argument hiroshimesque, on pourrait se contenter de rappeler que nombre de programmes de recherche – Internet en est un exemple bien connu –, ont été et sont encore lancés par et pour l’armée. Pour autant, on n’a pas vu beaucoup de labos en grève contre les usages sataniques de leurs découvertes depuis la fin de la guerre froide !

Ah, ces foutus Étatsuniens et leur fascination pour la technologie  ! Alors que plus de 6 000 robots de combat terrestre rescapés de la guerre en Irak sont en train de rouiller dans d’immenses hangars de stockage aux USA, la recherche sur les Unmanned Ground Vehicles (UGV) et les Unmanned Aerial Vehicles (UAV) se poursuit dans les innombrables officines du complexe militaro-industriel. A la jonction du terrestre et du volant, on trouve le programme Hybrid-Insect Micro Electro-Mechanical Systems de la DARPA2 qui permettrait de larguer des centaines de milliers de coléoptères télécommandés et interconnectés sur une zone à surveiller. Intégrant les dernières trouvailles en électronique miniaturisée (voire en nanotechnologie), cette biomachine infernale serait alimentée en énergie grâce à une décomposition de sucres issus de la bestiole « frankensteinisée » elle-même. Imaginons un moment ce nouveau fléau biblique constitué de millions de sauterelles dronisées mais détraquées se jetant sur des millions d’hectares de céréales OGM  ! A moins que leurs concepteurs n’aient prévu un système d’autodestruction se déclenchant à l’approche d’un produit Monsanto… Sans s’engager dans ce genre de scénario qui tiennent pour l’instant davantage d’Hollywood que du Pentagone, on peut néanmoins remarquer que la réorientation par Obama de la guerre globale contre le terrorisme vers un retrait des troupes sur le terrain a favorisé ce type de solutions robotisées ou dronisées. Pour autant, la guerre par robots interposés n’est pas exempte de difficultés liées autant à la nature de la guerre elle-même qu’aux capacités des matériels existants ou en développement. Déjà, pendant le conflit vietnamien, les milliers de capteurs, déversés par l’aviation US pour surveiller les déplacements de troupes ennemies le long de la piste Ho Chi-Minh, avaient été en grande partie récupérés par les combattants viêt-congs puis déplacés vers des zones inoccupées par eux. Mais l’Administration américaine n’était pas à une tonne de bombe près3. Plus récemment, pendant la guerre en Irak, les insurgés avaient réussi à pirater les flux de données transmises par les drones Predator à l’aide d’un logiciel grand public ne coûtant que quelques dizaines de dollars. Des informations qui ont ensuite fait le bonheur du complexe militaro-industriel iranien. En Afghanistan, l’expérimentation d’un robot terrestre armé a été très rapidement stoppée dès lors que les militaires US se sont aperçus que l’engin de 50 kilos avait la fâcheuse tendance, le traître, à se jeter dans les bras de l’ennemi au lieu de le découper en morceaux. Les GI, avec cette ironie propre à la chair à canon, ont aussitôt rebaptisé l’ingénue mécanique en « système automatique de réapprovisionnement des Talibans ». Ainsi, les galonnés de Washington semblent avoir continuellement négligé que la zone des combats est un espace fluide dans lequel la ruse tactique peut mettre en échec n’importe quelle technologie. Toujours le cheval d’Ulysse viendra à bout des murailles de Troie.

Ah, ces foutus Étatsuniens et leur inébranlable croyance dans le dieu Argent  ! Qu’importe ces ratés ou ces imperfections temporaires, les commerciaux des plus grosses boîtes du secteur de la robotique et de l’IA continuent d’affûter leurs arguments  : « L’utilisation des robots militaires est basée sur la mise en service d’un robot qui est moins cher à déployer sur le champ de bataille qu’un soldat entraîné et sur la volonté de maintenir les soldats formés hors de danger. » Quoi qu’il en soit, si la guerre est bien devenue post-héroïque, ce sont toujours des hommes qui meurent, de plus en plus parmi les populations civiles.


1 Plus précisément une lettre ouverte publiée en marge de l’IJCAI. Cette conférence, consacrée à l’intelligence artificielle du 25 au 31 juillet à Buenos Aires, a certainement permis aux transhumanistes de Google de compléter leur mercato estival.

2 La Defense Advanced Research Projects Agency est à l’origine de la création du réseau Internet.

3 On apprend aussi que le marché mondial des robots militaires terrestres va plus que tripler dans les cinq ans qui viennent (« La Guerre des robots » – robots.blog.lemonde.fr – Edouard Pfimlin).

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Paru dans CQFD n°135 (septembre 2015)
Dans la rubrique Chronique du monde-laboratoire

Par Iffik Le Guen
Mis en ligne le 12.02.2018