Atsem : du care et du précaire
Petites classes, grandes oubliées
Atsem. Pour qui est entré en maternelle avant le début des années 1990 et n’y a jamais remis les pieds depuis, l’acronyme tient du cryptique. Il désigne pourtant depuis 1992 des actrices incontournables des établissements scolaires : les agentes territoriales spécialisées des écoles maternelles. Chevilles ouvrières des classes de petite, moyenne et grande section, les Atsem – dans l’écrasante majorité des femmes – y partagent l’espace avec l’enseignante1. Ce sont elles qui, souvent, préparent la mise en place des ateliers le matin avant l’accueil des enfants. Elles qui aident les marmots à étaler la gouache bien au centre de leur feuille. Elles encore qui recueillent les récits de cauchemars au réveil de la sieste, qu’elles surveillent. « C’est pour ça, pour ce contact permanent avec les enfants, que j’ai voulu faire ce métier. » Au bout du fil, Rosa2 raconte les éclats de rire communicatifs des minots, la satisfaction retirée dans le fait d’accompagner des tout-petits à grandir un peu plus chaque jour, « la spontanéité des enfants, la simplicité dans la relation ». Pendant quatre ans, Rosa a été Atsem dans une école maternelle d’une petite ville de Bretagne. Elle en garde globalement de bons souvenirs. Ce qui lui plaisait le plus ? « Clairement le rôle d’éducateur, un des aspects essentiels de ce boulot. » Rosa se remémore les moments passés au réfectoire avec les petits. Loin de se résumer à de la simple surveillance et au service à table, sur ce temps – quand les mairies ne renâclent pas sur les embauches et que les Atsem ne sont pas en sous-effectif – elles remplissent une vraie mission éducative : « On s’assoit avec les enfants, on leur coupe leur viande, on les incite à goûter en leur expliquant ce qu’ils ont dans leur assiette ; on leur pose des questions, on discute. » Pendant les heures de classe, même topo : le rôle de l’Atsem est surtout d’éduquer. « Bien sûr, c’est à l’enseignante de décider de la pédagogie et l’Atsem reste finalement dans l’exécution de tâches, mais elle assiste les enfants dans leur travail et peut aussi parfois mener seule un atelier avec un petit groupe. »
Si sur le papier, les Atsem sont aujourd’hui reconnues comme membres à part entière de l’équipe éducative3, ça n’a pas toujours été le cas. Dans un article intitulé « Lumière sur les Atsem, ces actrices de l’ombre des écoles maternelles4 », la sociologue Fabienne Montmasson Michel revient sur l’évolution de la profession. La présence de ces femmes dans les écoles remonte à la fin des années 1830 5 : celles qu’on appelait les « femmes de service » étaient alors cantonnées à l’entretien des locaux. Peu à peu, elles se sont vu confier la garde des enfants en fin de journée et les soins relatifs au corps. Leur intégration au sein des salles de classe arrive bien plus tard, au mitan du XXe siècle, époque à laquelle « l’introduction d’un abondant matériel pédagogique dans les classes [a rendu] nécessaires de nouvelles tâches d’entretien (nettoyage, préparation, rangement) ». Mais ce n’est qu’à la toute fin du XXe siècle qu’on les charge d’animer des « activités manuelles ». Cette brève histoire du métier d’Atsem permet certainement de saisir un de ses aspects actuels : aujourd’hui encore, ce sont elles qui nettoient les pinceaux et les tables tachetées de colle, elles qui balaient les sols des classes jonchés de gommettes et lessivent le carrelage de la cantine aux rainures incrustées d’aliments écrasés. « Tous les matins, je commençais ma journée à 8 heures pour la finir à 18, une fois fait le ménage de la classe, des parties communes, des sanitaires... », raconte Rosa. Elle imagine : « Celles qui ont fait toute leur carrière en tant qu’Atsem doivent être cassées... » Des journées à rallonge que la pandémie de Covid-19 et les protocoles sanitaires sont venus alourdir, comme le racontait à Libération en juin dernier Pascale, Atsem en Occitanie : « Dès que l’enseignante part [déjeuner], on désinfecte les tables, on dresse, on sert, on redésinfecte. C’est non-stop 6. » Le tout pour une paye dépassant généralement à peine le Smic, en début de carrière. Si de son côté, Rosa a toujours pu boucler les fins de mois, elle précise qu’elle avait la chance « d’avoir un mec qui bossait ». Avec deux enfants à charge, sans le salaire de leur père employé d’usine, « ça aurait été autre chose ». Rosa n’est pas du genre à se plaindre, mais finit par lâcher : « C’est sûr qu’on ne partait pas en vacances tous les ans... »
Des journées à rallonge que la pandémie de Covid-19 et les protocoles sanitaires sont venus alourdir.
Dans un article paru dans le dernier numéro de la revue Z titré « Cette autre femme derrière la porte », la journaliste Naïké Desquesnes se demande « ce qui explique le décalage entre, d’un côté, l’importance [des] missions fondamentales [des Atsem] auprès des jeunes enfants ainsi que la pénibilité de ce métier et, de l’autre, la non-reconnaissance de celui-ci, effectué à plus de 99 % par des femmes ». Réponse en une manche : « Un mépris qui pourrait bien trouver sa source dans une hiérarchie du travail pensée selon un modèle masculin et élitiste où les métiers du care7, ceux de la petite enfance, du nettoyage et du soin, ne sont jamais admirés. »
Si ce mépris se fait sentir sur la fiche de paye, s’insinue-t-il jusque dans les rapports tissés avec l’enseignante ? « J’ai eu du bol, reconnaît Rosa. Dans l’ensemble, je suis tombée sur des femmes avec lesquelles je formais un vrai binôme. Des personnes conscientes qu’Atsem, agents d’entretien, enseignants, tout le monde est important dans une école. C’est aussi une question de rencontre. »
Elle marque une pause, réfléchit, puis évoque tout de même cette enseignante dont elle a partagé la classe pendant un an : « Je me souviens une fois d’avoir organisé des classeurs avec les productions des enfants, de les avoir rangés pour qu’ils puissent les ramener à la maison. Le lendemain je les avais retrouvés complètement désorganisés. Je ne pouvais rien prouver mais ça ne pouvait être qu’elle. Des trucs dans le genre, elle m’en a fait plusieurs dans l’année. » Une bassesse parmi d’autres que Rosa préfère aujourd’hui éluder, mettant ça sur le coup de la « fatigue » de sa collègue qui « était surtout mal dans sa peau ». D’autres témoignages font pour leur part état d’une véritable souffrance au travail. Parmi eux, celui de Catherine, Atsem dans une école marseillaise, qui racontait il y a un peu plus d’un an à Marsactu 8 les rapports complexes entretenus avec les enseignantes à qui elle devait « demander pour aller aux toilettes ». Naïké Desquesnes relate quant à elle l’histoire de Katia, une Atsem de l’Isère à qui la collègue enseignante a un jour lancé : « Ça me fait mal de te voir assise à mon bureau. » Et la journaliste d’en conclure : « Comment ne pas voir ici une forme de lutte de pouvoir entre une femme et une autre, une dominée et une un peu moins dominée ? »
1 Parce qu’en 2016, 82,6 % des enseignants du premier degré étaient des femmes, on prendra ici le parti de les désigner au féminin.
2 Le prénom a été modifié.
3 D’après le décret du 1er mars 2018 « portant diverses dispositions statutaires relatives aux agents territoriaux spécialisés des écoles maternelles ».
4 The Conversation (02/09/2021).
5 À cette époque, la maternelle telle qu’on la connaît aujourd’hui n’existe pas encore, mais la « salle d’asile » en constitue les prémices.
6 « Atsem en maternelle : “On n’aurait pas été là, comment les enseignants auraient fait classe ?” » (02/06/2021).
7 En lien avec le soin.
8 « Dans les écoles marseillaises, le blues des tatas » (23/11/2020).
Cet article a été publié dans
CQFD n°206 (février 2022)
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Paru dans CQFD n°206 (février 2022)
Dans la rubrique Le dossier
Par
Illustré par Elzazimut
Mis en ligne le 11.02.2022
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