L’édito du n° 206
Dissoudre Darmanin dans l’acide
Le 21 janvier au soir, il y a manif à Nantes, contre l’extrême droite et son monde. Un rassemblement un chouïa agité. Pas tant. Des tags et une vitrine défoncée. Pas de quoi fouetter un chat noir. Mais ensuite tout s’emballe. Une députée LREM de Loire-Atlantique interpelle le machin de l’Intérieur au sujet du média Nantes révoltée qui, dit-elle, « revendique la haine de nos institutions » et aurait été « moteur de rassemblement ». Le Darmanin en question embraye alors directement et annonce lancer la procédure de dissolution dans l’acide administrative desdits camarades de Nantes révoltée. Enfin, de leur « groupement de fait ». Qui, en vrai, est un média, présent à la fois sur Internet et en revue.
Depuis, des voix se sont élevées. Entre la Ligue des droits de l’homme qui a demandé le 29 janvier l’arrêt « sans délai » du processus de dissolution et la tribune « “Nantes Révoltée” et nous aussi » de la Coordination permanente des médias libres, largement relayée (notamment par Reporterre), la dernière darmanerie en date fait des vagues.
Faut dire que le matin de l’annonce du ministre de l’Intérieur, même le préfet de Loire-Atlantique confiait à Ouest-France ne pas vraiment croire à la dissolution : « Si Nantes révoltée est considérée comme un média, on est confronté au respect de la loi sur la liberté de la presse. » Foutues barrières démocratiques.
Alors quoi ? Simple effet de manche ? Ou véritable attaque contre la liberté de la presse en terre hexagonale ? On serait tentés d’y voir un mélange des deux. Un ballon d’essai, accompagnant la dérive autoritaire du pays sous le règne LREM (dont on parle notamment dans l’article « Dernières nouvelles du Président des flics », publié dans le même numéro). Lancer la boule puante, avec en tête la question : « Est-ce que ça passe ? » Bah écoute Gérald, non, ça ne passe pas. En tout cas pas vraiment. Du moins pour l’instant. Enfin faut espérer. Mais le simple fait que tu tentes la chose prouve bien que toi et le gouvernement que tu représentes n’avez absolument aucune barrière en matière de détricotage des droits les plus élémentaires. C’est pas vraiment une surprise, hein, on connaît votre œuvre en la matière, du harcèlement des migrants à Calais à la surenchère répressive en manifestation (contre les journalistes aussi, d’ailleurs) en passant par la gestion policière de la crise sanitaire, mais voilà : on prend note, apprenti Tapioca.
Et on se souvient que le projet de dissolution administrative de Nantes révoltée s’inscrit dans une vague commencée, fin 2020 et sous des prétextes fallacieux, par celle d’une organisation de défense des droits d’une minorité, le Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF). Diverses structures musulmanes ont ensuite connu le même sort, ainsi que des mouvements d’extrême droite. Si on ne pleurera pas sur le sort de l’intégralité des victimes de l’arbitraire gouvernemental (on regrette pas Génération identitaire, par exemple), le procédé reste dégueulasse. Et au rang des ennemis politiques du gouvernement, l’extrême gauche – qui n’a pas assez protesté contre le principe même de ces diverses dissolutions – devait forcément finir par être atteinte.
Pour l’heure, à CQFD, on est évidemment solidaires de Nantes révoltée et de celles et ceux qui portent cet essentiel média de lutte – lâchez rien ! Et on se doute bien que ce genre d’attaques va se répéter dans un paysage médiatique oscillant entre concentration bolloréenne de plus en plus flippante et journalisme de préfecture. Et que ça pourrait même nous concerner, dans un avenir plus ou moins lointain. Parce que s’il s’agit de relayer des appels à manifester contre la Macronie et son monde, de dénoncer les violences policières1, de se tenir aux côtés de toutes celles et ceux qui luttent contre l’ultralibéralisme et ses chiens de garde, ben nous aussi on en est, et pas qu’un peu. Allez, Gérald, petite frappe sans âme, pelle à déjections, éborgneur en costard, suppôt de l’enfer policier, propose notre dissolution ! On prendra ça comme un motif de fierté. Et tu verras que comme pour Nantes révoltée il reste encore quelques barrières à la vérole autoritaire que vous n’avez pas encore démantelées. Enfin, faut espérer…
1 Nantes révoltée paye sans doute en partie son gros travail d’information, peu apprécié des syndicats de police, sur la noyade de Steve Maia Caniço pendant une intervention de police complètement disproportionnée lors la fête de la musique 2019.
Cet article a été publié dans
CQFD n°206 (février 2022)
Dans ce numéro qui fait sa fête à Blanquer, un dossier sur « les prolos invisibles de l’éducation nationale ». Mais aussi : un détricotage de la Macronie sécuritaire, un entretien anthropologique sur le règne des frontières, une plongée en bande dessinée sur la question du « rétablissement » en psychiatrie, des vaccins communards, des Balkans en tension et des auteurs de science-fiction qui jouent aux petits soldats.
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Paru dans CQFD n°206 (février 2022)
Dans la rubrique Édito
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Mis en ligne le 18.02.2022
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