Actuellement sous la forme d’un « séjour de cohésion » gratuit d’une douzaine de jours, suivi d’une « mission d’intérêt général » (entendre 84 heures de bénévolat non rémunéré), le SNU fonctionne depuis sa mise en place en 2019 sur la base du volontariat. Mais le spectre d’un SNU « généralisé » (entendre « obligatoire ») pour les jeunes de 16 ans, plane sur la jeunesse. « Ces cinq dernières années, le nombre de volontaires n’a jamais été atteint, d’où les récentes annonces », nous explique Marie, enseignante, militante au NPA et membre du collectif Non au SNU 13, tout en distribuant des tracts à des parents d’élèves devant le lycée Saint-Charles à Marseille.
En 2023, seuls 40 000 jeunes avaient participé aux séjours où l’on chante la Marseillaise en uniforme sous les drapeaux. Mais dès l’année prochaine, l’instauration d’un stage obligatoire de deux semaines pour les classes de seconde générale pourrait pousser beaucoup plus d’élèves vers le SNU. « C’est l’alternative pour tous ceux qui ne trouveront pas de stage dans une entreprise ou une association, dans une période où tous les élèves cherchent en même temps, continue Marie. Sans compter qu’on leur fait croire que c’est un plus pour Parcoursup. » Le budget d’un SNU généralisé à toute une classe d’âge ? Près de 2 milliards d’euros. « Pourquoi on ne met pas cet argent dans l’école ? » s’exclame Julien, enseignant en lycée professionnel, pointant les heures de cours retirées aux élèves. Cette mesure vient à ses yeux creuser des disparités sociales qui existent déjà, entre les « stages kebabs » des jeunes dont les familles n’ont pas de relations et les séjours linguistiques payants qui vaudront pour valider le stage obligatoire.
[|Des ponts entre générations|]
Face à une parente d’élève approuvant l’initiative – « les jeunes seraient mieux à apprendre la solidarité qu’à traîner dans la rue » – Hervé, membre de l’Union communiste libertaire, ironise en aparté : « On sait à quoi ça pouvait ressembler, la solidarité dans les casernes. » Presque 30 ans après la fin du service militaire obligatoire, ce sont les acteurs historiques de l’antimilitarisme comme la Fédération nationale de la libre pensée et l’Union pacifiste qui ont, dès 2019, monté le collectif national Non au SNU. À Marseille comme dans une quinzaine d’autres collectifs locaux, différentes organisations syndicales et associatives se sont réunies pour mener cette bataille sociale [1]. Parmi elles, le Mouvement national lycéen (MNL), un syndicat lycéen né en 2017 : « On s’engage parce qu’on est les premiers concernés, c’est logique, non ? », souligne Gaspard, élève de terminale dans un lycée du centre-ville et membre du MNL.
« Tant que ce ne sera pas généralisé, l’opposition ne touchera pas largement les adolescents. C’est un défi : ce ne sont pas seulement d’anciens objecteurs et insoumis comme nous qui vont pouvoir mener cette lutte », fait remarquer Christian, du collectif national Non au SNU.
« Les adultes ont des références historiques à nous apprendre, et nous on leur explique pourquoi c’est important de créer un compte Instagram »
Aux côtés des lycéens mobilisés, des organisations d’enseignants et de parents d’élèves dénoncent un glissement de la mission de formation de l’école vers le disciplinaire. Et des syndicats, qui s’inquiètent des heures de travail non rémunérées et des emplois qui pourraient disparaître. « C’est une rencontre intéressante. Les adultes ont des références historiques à nous apprendre, et nous on leur explique pourquoi c’est important de créer un compte Instagram », sourit Marilou, lycéenne en terminale engagée au MNL. Même si les années lycée défilent vite, elle et ses camarades sont déterminés à mettre l’opposition au SNU et à l’uniforme à l’école au cœur des blocus d’établissements. Une détermination qui réjouit Michel, de la Fédération de la libre pensée : « On voudrait nous faire croire que la jeunesse a besoin du SNU pour découvrir l’engagement, mais les jeunes sont déjà engagés ! Là où le gouvernement ne le voudrait pas, dans les luttes écologistes, féministes, antiracistes… » Comme à l’époque du service militaire, l’enjeu n’est pas tant de permettre aux jeunes d’échapper individuellement au SNU, mais bien de s’opposer à la militarisation de la jeunesse et de la société.
Outre son coût colossal et les dérives qui ont déjà marqué les premières éditions (punitions abusives, blessures, malaises et harcèlement sexuel [2]) le principe de ce « service », grossièrement maquillé derrière l’idée « d’un engagement civique », est de créer un réservoir de forces pour les corps en uniforme et de diffuser les « valeurs et les principes de la République ».
L’idée d’une jeunesse à discipliner rappelle des heures troubles de l’histoire
Pour le collectif Non au SNU, l’idée d’une jeunesse à discipliner rappelle des heures troubles de l’histoire. « Cela pourrait être un outil terrifiant si l’extrême droite arrivait au pouvoir », fait remarquer Christian.
L’expérience « formatrice » sonne plutôt comme un embrigadement. « Ils veulent nous rendre conformes à ce modèle de valeurs patriotes ! », s’indigne Marilou. Sans compter qu’à l’école, où l’armée et la police interviennent de plus en plus pour « sensibiliser », les élèves sont déjà susceptibles de faire partie de « classes engagées » dans le SNU sur décision de leurs professeurs. Pour Gaspard, s’opposer à « l’endoctrinement militaire », c’est défendre une autre vision du monde. « Le réarmement, sur le plan international, ça revient à se protéger plutôt que d’aller aider, alors que la coopération est essentielle, par exemple pour l’écologie. » Dans un contexte où les ventes d’armes par les entreprises françaises ont atteint le record de 27 milliards d’euros en 2023, dire non au SNU, c’est aussi s’engager contre la guerre, ceux qui la font, et ceux qui rêvent de la faire.
[/Par Léna Rosada/]