« Cette nuit, pendant que tu dormiras… » débute la voix du narrateur, dans le premier épisode. Et l’aventure commence : tu te réveilles sur ton lit qui flotte sur l’eau. Aux côtés de ton Doudou Dodu, dont la petite voix chafouine ne te quittera plus, vous accostez sur une drôle d’île, où « mille tout petits cris à peine chuchotés vous accueillent ». C’est alors que la Fourmi à grosse voix se réveille pour te donner de précieux conseils. « L’Effroilleur, un monstre horribilique, est devenu l’empereur de la peur. Il a interdit à tous les habitants de l’île de parler, de vivre, de rire en paix », avertit-elle – alors que l’auditeur adulte, ravi, reconnaît le timbre de voix d’Oxmo Puccino derrière le personnage.
Pendant que les petits tendent l’oreille pour ne rien manquer des rebondissements – poulpes voleurs de pantoufles qui se battent au kung-fu à huit bras, voyages à dos de Tortue Goûter – les grands écouteurs, eux, savourent les vrais morceaux de poésie propres à l’imaginaire débridé de Ponti. Si l’ombre de l’Effroilleur est angoissante, le reste de l’île aux blablas est doux comme les beaux moments de l’enfance : des oreillers à poches à secrets, des ficelles à papillons (pour qu’ils se reposent), une Fleur qui protège de tout – et même de la tristesse de l’Arbre qui n’entend plus les oiseaux chanter. La pointilleuse création sonore transporte nos cinq sens, grâce aux bruitages des glissades sur les queues de baleines, des éboulis des escaliers qui se transforment en toboggan, et des battements d’ailes des oiseaux. On croirait même sentir l’odeur « de vieille chaussette de mille-pattes fainéants » !
Dans les interstices, des petits trésors d’impertinence nous ravissent. Ainsi de la critique du jour où l’Effroilleur est arrivé « avec son costume de sourire et son chapeau à visage d’ange » et a corrompu les habitants de l’île avec des objets merveilleux (« toutes choses extraordinaires qui font rêver même les pierres au fond des rivières ») pour prendre le pouvoir. Ou encore la Porte, « méchante fermée comme un mur de haine et de férocité » qui est véritablement « obéi-bêtissante » – car elle n’a pas d’autre cerveau que le règlement. Reste à lutter contre l’Effroilleur, celui qui voulait être le seul à parler, et à continuer à chanter et rêver tout haut (sauf si c’est l’heure de la sieste).
[/Par Léna Rosada/]