Grève hôtelière
Ni bonnes, ni connes !
« Il faut payer ! Il faut payer ! » scandent en chœur les manifestantes dans leurs mégaphones, tout en tambourinant sur des casseroles. Réunies devant leur hôtel, aux Halles, ces femmes immigrées, en majorité africaines, s’en prennent bruyamment à leur employeur, l’entreprise Sin&stes à qui Novotel sous-traite le nettoyage de ses piaules.
Ce 26 octobre, après vingt jours de grève, une dizaine de gros bras de la sécurité matent d’un œil impassible la scène tandis qu’un taxi dépose deux clients bling-bling qui détournent le regard face au joyeux bordel déployé par les grévistes. Monique, qui trime dans les suites du Novotel depuis six ans, explique à CQFD : « C’est la première fois qu’on se met en grève. Mais les cadences de travail sont devenues impossibles pour nous ! » Avec moins de 1 000 euros par mois, des contrats à temps partiel sans horaires définis et un rythme de trois chambres par heure, ces femmes bénéficieraient de conditions de travail bien pires que celles des employés de l’hôtel. Chérif, équipier de nuit, déboule avec une lettre de menace de
licenciement. Énervé, il raconte : « Je travaille de 15 heures à 21 heures, or ils nous ont annulé la majoration pour le travail de nuit ! De plus, sur 7 heures de travail, nous n’avons même pas le droit de faire une pause pour manger, alors qu’une collègue est diabétique ! ». Depuis peu, l’hôtel est monté en grade, et arbore fièrement quatre étoiles : « Ils ont mis beaucoup d’argent dans l’espace business avec des écrans, des ordinateurs, des canapés… Et nous, on n’a rien eu ! »
En attendant, la direction de l’hôtel et Sin&stes font la sourde oreille ou se renvoient la balle… « Il n’y a aucun dialogue, ils sont en train de nous narguer ! Et quand on va les voir, ils nous disent de ne pas écouter les organisations syndicales, qu’elles nous manipulent », renchérit une des femmes de ménage. Pourtant, leurs revendications sont loin d’être extravagantes : un treizième mois – fichtre –, des tickets-resto à quatre euros – diantre –, la dotation par l’employeur de gants pour l’ensemble des salariés – ventrebleu, c’est carrément la liberté d’entreprendre qu’on assassine…
Novotel répond aux exigences de la plèbe en dépêchant lardus et huissiers de justice. Ainsi, l’hôtel a porté plainte contre les trente-huit grévistes pour occupation illégale d’une salle et Hakim, représentant syndical, a eu droit à une garde à vue agrémentée d’une convocation au tribunal de grande instance suite à une plainte de la direction…
Ce type de conflit entre salariés et sous-traitants du groupe Accor – ou d’autres grands hôtels parisiens – se multiplierait. Selon Claude Lévy, permanent de la CGT Commerce, « la sous-traitance du nettoyage et de la sécurité se généralise dans le milieu hôtelier jusque dans les maisons quatre étoiles : en externalisant des services, il y a moins de charges patronales à payer, et le management se négocie au rabais. » En attendant, le soutien aux grévistes s’organise : un collectif leur a apporté quelques centaines d’euros et de quoi casser la croûte, la CGT a offert à chacune deux cents euros pour le mois et des employés de l’hôtel du Louvre et de Lafayette se radinent en soutien aux rassemblements. Avant que le cortège bigarré de ces femmes de ménage ne se mette en route vers le tribunal, une autre femme, huissier de justice, vient constater le tohu-bohu des grévistes devant l’hôtel… Elles n’en ont cure et partent, comme un seul homme, oups, une seule femme, assister à l’audience consacrée à la plainte pour occupation illégale. Faty, militante associative, d’ajouter : « Au-delà des revendications salariales, il s’agit clairement d’une lutte féministe ». Car si le groupe Accor se targue sur son site d’« ouvrir de nouvelles frontières dans l’hospitalité », il a surtout ouvert, avec l’utilisation de la sous-traitance, de nouvelles frontières dans la précarité des femmes…
Cet article a été publié dans
CQFD n°94 (novembre 2011)
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Paru dans CQFD n°94 (novembre 2011)
Par
Illustré par Camille
Mis en ligne le 22.12.2011
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23 décembre 2011, 12:02
Merci pour cet article. Il existe un excellent reportage sur la question disponible chez les Mutins de Pangée. C’était il y a dix ans et rien n’a changé depuis.
27 janvier 2012, 17:50, par Konga
ça a en effet peu changé à part la revendication féministe et hormis la capacité d’organisation qui a été ici très rapide apparemment !