Media : L’envol du Dragon

L’année dernière, nous vous contions l’histoire des amis de radio Mont-Aiguille bien décidés à faire vivre la radio libre de leur coin de sud Isère. Depuis, Mont-Aiguille est enterrée. Vive radio Dragon !

« Chers amis bonjour, Bienvenue à ce jeu des mille héros  ! » Pour ce pastiche du Jeu des 1 000 euros, Bertille invite le public de la vallée et des acteurs de radios associatives à s’installer dans la salle communale de Saint-Sébastien. Jeudi 30 novembre, c’est la deuxième soirée du festival des savoir-faire radiophoniques en Trièves, Beaumont, Matheysine et Valbonnais. Jusqu’en avril 2013, les 30 000 habitants de ce coin des Alpes, fiché entre Grenoble et Gap, avaient leur radio associative, radio Mont-Aiguille (RMA). Créée par des professeurs du collège de Mens en 1989, l’antenne se tait définitivement lorsque l’association gestionnaire se retrouve en liquidation judiciaire. Monté en association des « amis de Radio Mont-Aiguille » pour reprendre la main sur la radio dès 2011, un groupe d’auditeurs ne l’entend pas de cette oreille. RMA désormais aphone depuis un an et demi, il faut proposer autre chose. « Au début on a fait de la radio sans radio, on a monté une sono sous la halle du marché pour diffuser avec nos enceintes », raconte Aude. A l’annonce de la liquidation judiciaire, l’AG de l’association décide que «  les amis de RMA portent un projet de radio ».

En cette fin octobre, ciel bleu et températures printanières accompagnent la naissance de « la radio qui crache du son », radio Dragon. Référence au « Drac, rivière tumultueuse qui traverse nos territoires et dont l’étymologie “draco”, signifie Dragon », nous apprend Aude. Après l’édition réussie de 2013, le bourg de Mens et ses alentours accueillent la deuxième édition du festival des savoir-faire radiophoniques, entre le 29 octobre et le 2 novembre. Quinze radios libres de France et de Bruxelles ont répondu à l’invitation pour partager discussions et ateliers pratiques ouverts aussi au grand public. Comme l’année précédente, les producteurs locaux offrent des produits que cuisine l’association la Petite Marmite pour nourrir la quarantaine de participants. Des habitantes prêtent le rez-de-chaussée de leur maison, « le Palasse », pour le lieu central et convivial du festival. D’autres hébergent tout ce petit monde ou accueillent des ateliers dans leur salon. L’effervescence du festival entraîne la radio dans ses premiers pas. La table de la cuisine du « Plex » se transforme une nouvelle fois en studio. L’appartement devient lieu de libre antenne assurée par les festivaliers et retransmise sur le site Internet de Dragon .

L’équipe de Dragon a réussi à sauver tout le matos de RMA, émetteurs compris. Mais l’ancien local appartient à la mairie, passée à droite en mai dernier. Elle en interdit l’usage à Dragon et le « Plex » n’est disponible que sur les 5 jours du festival. « Il y avait quelques personnes bien motivées par ce qui s’est passé dans le temps du festival, où la web-radio a tourné 24 heures, qui se sont dit qu’il fallait continuer coûte que coûte  », relate Bertille. Au soir du samedi 1er novembre, à quelques-unes, elles se rendent au Café des sports pour demander que Dragon s’installe à l’étage. Réponse positive quelques heures plus tard par SMS. Le matos est déménagé du « Plex » le lendemain. Dragon diffusera depuis ce lieu au moins jusqu’en mars 2015 en échange d’animer de temps en temps le café. Chose déjà faite durant le festival avec un jeu radiophonique : « Mais de qui est cette chanson d’ABBA ? ».

Orpheline de la diffusion en FM, Dragon souhaite récupérer les fréquences qui ne sont plus utilisées par RMA. La demande d’autorisation pour la FM est déposée fin novembre auprès du CSA. La municipalité de Mens s’y montre hostile. Juste avant le conseil municipal du 21 novembre dernier, «  nous avons été reçus par les élus pour un audit sur nos projets radios », rapporte Marc. Trois projets sont en lice  : Dragon, Oxygène et Passion. Alors que ce n’était pas à l’ordre du jour, un vote à huis-clos s’improvise. Onnze voix (deux contre et une abstention) se prononcent en faveur d’Oxygène, une radio commerciale. Pourtant, Oxygène, avec ses 15 fréquences sur des stations de ski alpines, ne désire pas de studio mensois. En guise de local « elle proposera ses programmes de l’Alpe-d’Huez et de Villard-de-Lans », assure Marc. Bien loin de l’outil d’expression radiophonique libre, fait par et pour les habitants, voulu par les membres de Dragon. Laurent parle de « distinguer le tuyau du contenu du tuyau » pour bâtir une radio pluraliste. Le CSA rendra sa décision dans le courant du premier trimestre 2015.

Dimanche 2 novembre se tient la soirée de clôture du festival à la salle communale de Saint-Jean d’Hérans avec une « boum participative » où chaque participant est invité à contribuer avec ses « tubes préférés ». Au calme, sous le ciel généreusement étoilé du Trièves, Margaux fait le bilan  : «  C’était super d’avoir cette dynamique autour de nous. Ça nous a donné plein d’outils mais aussi plein de pêche. Ça m’a donné trop envie, c’était la première fois que je faisais de la radio en direct. » Delphine animait deux émissions sur RMA. Salariée de la communauté de communes, elle venait relayer les activités culturelles. « Au début je disais, non, non, je ne veux pas faire, je ne sais pas. J’ai été un peu forcée et en fait ça m’a bien plu. Aujourd’hui j’espère bien continuer avec radio Dragon. » Preuve que toutes celles et ceux qui le veulent, peuvent s’emparer de l’expression radiophonique. Rendez-vous à l’automne 2015 autour de radio Bartas à Florac en Lozère pour la troisième étape de ce festival des savoir-faire radiophoniques.

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Paru dans CQFD n°127 (décembre 2014)
Dans la rubrique Médias

Par Pierre Isnard-Dupuy
Mis en ligne le 12.01.2015