C’est que le début, d’accord d’accord

Mars aux poubelles, avril aux casseroles

Le mois dernier, on avait titré en grande pompe sur « le Printemps des poubelles ». Celui-ci s’est entre-temps mué en Printemps des casseroles. D’apparence moins énervé, il est à bien des égards tout aussi résolu. On a choisi de piocher dans ce bouillonnement quelques paroles et faits, en partant du côté de Besançon, en décryptant la revalorisation annoncée de la rémunération des enseignants ou encore en nous entretenant avec Serge Quadruppani, auteur d’Une histoire personnelle de l’ultra-gauche.

Le mois dernier, on avait titré en grande pompe sur « le Printemps des poubelles  » dans un numéro à la couverture pleine de flammes et d’oiseaux de la tempête qui s’annonçait. Magie de l’époque, celui-ci s’est entre-temps mué en Printemps des casseroles. D’apparence moins énervé, il est à bien des égards tout aussi résolu. Et il s’accompagne d’une communication ludique plutôt réjouissante, sous forme d’une compétition intitulée « Intervilles du zbeul », portée notamment par Attac et Solidaires. Ou comment transformer les cent jours de Macron et sa clique unanimement détestée en Jeux olympiques de la contestation, avec distribution de points par département : un pour une manifestation ou une casserolade, deux pour une action créative, cinq pour une annulation de visite officielle… Avec trois points de bonus si cela touche un ministre, six pour le président de la République. À l’heure où nous imprimons, l’Hérault mène d’une bonne tête1 – mais la compétition ne fait que commencer ! La répression toujours féroce et sans cesse plus absurde (les inénarrables interdictions de « dispositifs sonores amplificateurs de son ») nous montre en tout cas que le pouvoir ne prend pas cette évolution de la mobilisation à la légère.

Dans l’entretien qu’il nous a accordé [à lire par ici], Serge Quadruppani invite à « déborder à grande échelle  » en sortant des cadres militants établis. De tels débordements essaimant un peu partout en France ces dernières semaines, on ne saurait en dresser un tableau exhaustif. Alors on a choisi de piocher dans la marmite quelques paroles et faits. Entre colère et joie, ce bouillonnement des casseroles se veut un début plutôt qu’une fin.

Émilien Bernard et Benoît Godin

Par Colloghan



BESANÇON : UN CLIMAT SOCIAL AIGRE-DOUX

Journaliste indépendant basé à Besançon, Toufik-de-Planoise vient de connaître (à nouveau) les joies de la garde à vue pour le seul fait d’avoir couvert des actions militantes. Il évoque son cas mais aussi le climat « chaud » de la préfecture du Doubs.

« Au poste, les flics en rigolaient, disaient que c’était vraiment un dossier pourri, qu’il n’y avait rien contre moi… » Trois jours après être sorti de neuf heures de garde à vue pour de simples photos, Toufik-de-Planoise reste consterné par ses récentes péripéties judiciaires. Ce photojournaliste pour RadioBip et M252, médias associatifs de Besançon (Doubs), est notamment accusé d’« entrave concertée et avec violence ou voie de fait à l’exercice de la liberté de réunion » et « entrave à la mise en marche ou la circulation d’un train ». En réalité, il est incriminé pour avoir couvert la contestation d’une conférence anti-avortement le 30 janvier, puis une action de blocage de voies ferrées par des opposants à la réforme des retraites le 20 avril. Bref, il a fait son boulot. Toufik n’est pas le seul visé : le syndicaliste FO Frédéric Vuillaume a lui aussi été placé en garde à vue après l’occupation des voies ferrées. Tous deux seront jugés le 30 juin.

Le syndicaliste et le journaliste ont en commun d’être de grands habitués des cortèges bisontins… et de la répression. « Ça fait quinze ans que je suis très régulièrement emmerdé par la même clique, le trio préfet, procureur, DDSP3, raconte Toufik. Pendant les Gilets jaunes, ils avaient déjà essayé de faire taire la contestation et son écho dans les médias indépendants. J’avais récolté une garde à vue, comme d’autres journalistes. Et là ils font la même chose parce que ça bouge fort à Besançon. Mais ils se tirent une balle dans le pied tant leur dossier est absurde. Je porte toujours le sigle Presse, ils savaient très bien que j’étais journaliste. »

Besançon n’est à première vue pas la capitale de l’émeute

Tranquille préfecture de quelque 120 000 habitants, Besançon n’est à première vue pas la capitale de l’émeute – même si le précurseur de l’anarchisme Proudhon y a vu le jour et si les luttes de Lip4 s’y sont déroulées. Ces dernières restent d’ailleurs une référence : Toufik estime qu’avec des « pointes à 15 000 » manifestants, certains des récents rassemblements étaient « les plus gros depuis les défilés pour Lip en 1973 ». Il souligne surtout que l’ambiance des cortèges a basculé après le passage au 49.3 : « Il y a eu des moments plus tendus que d’habitude, avec même une soirée où les flics ne tenaient plus grand-chose. On a aussi vu l’apparition de cortèges de tête très actifs. Et j’ai été étonné de retrouver des gens inattendus auprès des plus déterminés. Des profs de ma connaissance, ou bien cette dame de bientôt soixante-dix piges, qui fait des ménages à droite à gauche pour survivre. » Besançon n’est pas la seule ville du coin à bouger, ajoute Toufik, car la région a eu l’occasion de casseroler du beau monde : « Six ministres sur la Franche-Comté, rien que ces derniers jours ! Aurore Bergé a aussi été bien accueillie à Montbéliard le 28 avril. » Et maintenant ? « Comme partout, on sent une grande colère », confie Toufik. Reste à savoir comment celle-ci va se traduire. Aux dernières nouvelles, ce 1er mai à Besançon n’a pas démérité, avec environ 10 000 manifestants et de beaux cortèges sauvages.

É. B. ET B. G.



Eh, c’est nul !

Sur la route depuis mars, la tournée « Expérience SNU », censée promouvoir le service national universel de Macron aux quatre coins de l’Hexagone, peut se targuer d’avoir attiré… un paquet d’opposants. De Quimper (Finistère) à Paris en passant par Caen (Calvados), les stands déserts bardés d’étendards bleu-flic et protégés par des robocops ont été encerclés par des manifestants usant de sifflets, chants ou casserolades. De quoi bien perturber prises de paroles et animations, quand ce n’est pas l’ensemble du village qui était démonté dans l’urgence – bravo les Nantais ! Une déception pour l’infatigable (et épuisante) secrétaire d’État en charge du dossier. Et aussi pour tous les malheureux ados qui risquent de passer à côté des riches expériences du SNU : « harcèlement sexuel, propos racistes, humiliations et gestes déplacés  » (Politis, 17/04/2023). Si votre région est à la traîne au classement des Intervilles du zbeul, sachez que la tournée continue jusqu’en juin.

Photo : Serge D’Ignazio



« LES ENSEIGNANTS VONT-ILS SEVOLTER ? »

En mission pour sauver sa tête relancer son mandat, Macron a bien du mal à annoncer des mesures d’apparence sociale. Une exception : la revalorisation de la rémunération des enseignants. À ceci près qu’il s’agit en réalité d’une arnaque qui met encore de l’huile sur le feu, explique Jean-Marie Le Jeune, prof de français dans le secondaire et militant syndical à la CNT interpro de Brest.

« Cela fait longtemps que nous, enseignants, demandons une hausse de nos salaires, qui en France sont en moyenne bien plus bas que dans les autres pays de l’OCDE. Pendant sa campagne électorale, Emmanuel Macron avait promis une revalorisation inconditionnelle de 10 % de nos salaires… C’était clairement un mensonge. Ce qu’il a annoncé revient finalement à une augmentation d’environ 3 à 11 % selon l’ancienneté, sachant que les montants maximum ne concerneront qu’une minorité d’enseignants. Cela ne rattrape même pas l’inflation des derniers mois. Ce n’est d’ailleurs pas une augmentation de nos salaires, mais une prime et une hausse d’indemnités, ce qui ne sera pas pris en compte pour le calcul des retraites par exemple.

On est déjà surchargé de boulot et on nous dit de charger encore la barque

On a perdu près de 25 % de pouvoir d’achat depuis une vingtaine d’années à cause du gel du point d’indice des salaires de la fonction publique. Macron aurait pu dégeler celui-ci, afin que notre travail soit davantage rétribué à sa juste valeur. Là, il arrive en père Noël avec 100 ou 200 balles par mois. Et il se permet de dire que c’est grâce à la réforme des retraites qu’il peut financer cette mesure ! En plus de cette revalorisation dite “socle”, Macron et [le ministre de l’Éducation nationale] Pap Ndiaye ont lancé leur “pacte enseignant”. Des missions sur la base du volontariat qui rapporteront chacune 1 250 euros bruts par an : remplacements de courte durée, soutien scolaire et coordination de projets innovants. C’est clairement “travailler plus pour gagner plus”. On est déjà surchargé de boulot, on croule sous les missions secondaires qui nous détournent de l’essentiel – les cours, les élèves – et là on nous dit de charger encore la barque !

Il y en a forcément qui vont accepter, vu qu’on est pris à la gorge. Surtout après les journées de grève de ces derniers mois… C’est particulièrement vrai pour les contractuels, de plus en plus nombreux et bien moins payés. Certains m’ont dit que même 50 balles, ils les prendraient ! Mais d’autres collègues ne pourront tout simplement pas : les temps partiels, les TZR5 qui assurent des remplacements de plus en plus éloignés et passent déjà beaucoup de temps sur la route, les profs de matières moins demandées… Et les femmes, qui acceptent déjà beaucoup moins les heures sup’, elles qui très souvent ont une seconde journée de travail qui les attend à la maison.

Les documentalistes et les conseillers d’éducation sont exclus de ce pacte. Quant aux AED et AESH6, ils n’ont droit à rien du tout. Aujourd’hui, leur rémunération est inférieure au seuil de pauvreté, à cause de temps partiels imposés. Quand on pense que l’école inclusive était un des grands chantiers du premier mandat de Macron !

Au final, ce “pacte enseignant” passe mal. Les syndicats ont tous claqué la porte à chaque fois que la question a été abordée, même les organisations les plus mollassonnes du type Unsa ou Sgen. Par contre, les enseignants n’ont pas rejoint en masse la contestation de la réforme des retraites – beaucoup sont résignés. Du fait de l’augmentation de la durée de cotisation à 43 annuités, on est déjà nombreux à devoir bosser jusqu’à 67 ans. Mais sur ce sujet du pacte qui les concerne directement, les enseignants, portés par le mouvement de contestation globale, vont-ils se révolter ? C’est la question de cette rentrée scolaire. »

Propos recueillis par Benoît Godin



Réassort d’urgence

« Les casserolades peuvent-elles faire (re)décoller les ventes de casseroles françaises ? » s’interroge sérieusement le très libéral Challenges sur son site web le 27 avril. À Marseille, on a déjà la réponse : carrément ! Emmaüs Pointe-Rouge lançait quatre jours plus tôt une « vente spéciale de dispositifs sonores portatifs » avec des casseroles bradées à moitié prix. L’association avait beau préciser « Pas de remboursement en cas de confiscation », l’opération a fait un carton : tout est parti dans la journée (La Marseillaise, 24/04/2022). Quand on voit la tronche de nos casseroles après une bonne casserolade, on comprend qu’il y ait besoin de se rééquiper fissa… Cent jours, c’est long !


Suite de cette double page consacrée dans notre numéro 220 au mouvement social de ce printemps 2023, un entretien avec Serge Quadruppani à retrouver ici :
« Pratiquer le débordement à large échelle »

1 Un classement à retrouver en ligne : 100joursdezbeul.fr

2 Toufik est également l’auteur de l’enquête « Seïf, 25 ans, mort on ne sait comment », parue dans CQFD n° 212 (septembre 2022).

3 Direction départementale de la sécurité publique.

4 De 1973 à 1976, les ouvriers de l’entreprise horlogère bisontine Lip ont occupé leur usine menacée de dépôt de bilan et poursuivi son exploitation. Un exemple d’autogestion ouvrière post-68 raconté dans le documentaire Les Lip, l’imagination au pouvoir (Christian Rouaud, 2007).

5 Titulaire sur zone de remplacement.

6 AED : assistants d’éducation. AESH : accompagnants d’élèves en situation de handicap.

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CQFD n°220 (mai 2023)

CQFD fête ses 20 ans d’existence ! Notre numéro 0 est en effet paru en avril 2003, notre numéro 1 le mois suivant… Un média indépendant qui tient deux décennies, qui plus est sur papier et toujours en kiosque, ce n’est pas si courant et on s’est dit que cela méritait d’être célébré ! Voici donc un numéro anniversaire (40 pages au lieu de 24 s’il vous plaît) avec un copieux dossier consacré à la vie trépidante du Chien rouge.
Mais on parle aussi de bien d’autres choses : depuis l’opération militaro-policière Wuambushu vue depuis Marseille (première ville comorienne du monde) à un entretien avec Lise Foisneau autour de son livre consacré aux Roms de Provence, des exploitées de la crevette au Maroc jusqu’aux victimes de crimes policiers au Sénégal en passant par les luttes pas toujours évidentes contre les barrages en Thaïlande... Et le mouvement social qui se poursuit encore et encore, évidemment ! On lâche rien !

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