Mémoires subversives

Bandit révolutionnaire, prisonnier prolétaire

Braqueur de banques, communiste révolutionnaire combattant, détenu pendant plus de 20 ans… Dans Je courais en pensant à Anna (éd. Premiers matins de novembre), Pasquale Abatangelo se remémore sa vie de révolté et raconte la rencontre explosive entre prisonniers « asociaux » et extrême gauche radicale dans l’Italie post‑1968.
Par Elena Vieillard

Pourquoi écrire une autobiographie si ce n’est, comme l’explique Pasquale Abatangelo, pour « raconter une histoire beaucoup plus grande que sa vie1 » ? Sa vie à lui, il la relate dans Je courais en pensant à Anna – Voyage à travers les luttes radicales italiennes des années 1970 (éditions Premiers matins de novembre). Son abondant récit est d’abord celui d’enfermements multiples dans l’Italie d’après-guerre : un retour « au pays » qui ressemble à un exil (il est issu d’une famille d’Italiens émigrés en Grèce, expulsés en 1945), la misère, le pensionnat, le service militaire, le travail…

Pasquale raconte aussi (surtout) ses incessantes stratégies, des plus spontanées aux plus élaborées, pour briser tous ces carcans : escapades, rock’n’roll, drogue, délinquance… S’il se revendique aujourd’hui farouchement communiste, Pasquale Abatangelo a déboulé dans la vie avec une âme d’anarchiste – dont témoignent sa quête rageuse de liberté et un A cerclé tatoué sur une cuisse dans sa jeunesse. Son caractère révolté l’amènera à emprunter, chaque fois qu’il le pourra, des chemins de traverse, jusqu’à embrasser la profession de braqueur de banques.

La taule n’est plus un angle mort des luttes révolutionnaires, elle en devient un épicentre

Sans surprise, la prison arrive très tôt dans son existence. Pasquale connaît sa première incarcération, pour une simple rixe en boîte de nuit, l’année de ses seize ans. En tout, il passera 21 ans derrière les barreaux. Et c’est là, dans le sillage d’une année 1968 brûlante, que survient cette « histoire plus grande que sa vie » qui fait tout l’intérêt de son récit : la rencontre, explosive, « entre bandits et révolutionnaires », entre prisonniers « asociaux » et militants d’extrême gauche. D’un coup, la taule n’est plus un angle mort des luttes politiques révolutionnaires, elle en devient un épicentre. « La critique de l’autorité, des institutions totales, des dispositifs de pouvoir présents à l’école, dans les casernes, dans les hôpitaux, dans les asiles, avait aussi produit un regard nouveau sur les prisons, écrit Pasquale dans son livre. C’était l’ouverture attendue depuis des années. Une opportunité que les détenus avaient diablement prise au sérieux, avec l’urgence des batailles à mener sans tarder et la témérité de ceux qui n’ont rien à perdre. »

« La vérité est toujours révolutionnaire »

Incarnation de ce rapprochement spectaculaire, qui va nourrir les luttes à l’intérieur comme à l’extérieur des prisons, Pasquale devient un « voyou politisé » : «  Je suis passé des vols aux braquages de banques, de la délinquance au militantisme révolutionnaire, de la participation aux luttes des prolétaires prisonniers à la lutte armée. » Il participera à la création des Noyaux armés prolétaires, groupe d’ex-prisonniers engagés dans la lutte armée, puis rejoindra en détention les Brigades rouges, l’organisation combattante révolutionnaire la plus importante de l’époque en Italie.

Pour Pasquale Abatangelo, raconter son parcours représente un « devoir politique et moral vis-à-vis de [sa] classe d’appartenance ». Et une autre manière de poursuivre la lutte « sur le champ de bataille de la mémoire ». Lui qui regrette à la fin de son livre un « gouffre entre les générations » savamment entretenu par la bourgeoisie, rappelle que l’histoire est d’abord écrite par les vainqueurs « pour légitimer leurs raisons et criminaliser celles de l’adversaire » : « Depuis un demi-siècle, avec la complicité de ses laquais et des médias de régime, l’État italien cherche à imposer sa version des faits. Au tout départ, il s’agissait d’effacer l’existence même de notre expérience, mais cela s’est révélé impossible tant elle a marqué le pays. Ils ont du coup lancé une gigantesque offensive de contre-information historique. »

Dès lors, témoigner est en soi un acte subversif : « La vérité est toujours révolutionnaire et d’une façon ou d’une autre elle refera surface, souligne, encore combatif, le vieux militant. Cette expérience reste un danger pour le pouvoir et un cauchemar pour la classe dominante. Tout simplement parce qu’elle peut se reproduire. »

Benoît Godin

1 Sauf précision contraire, les propos de Pasquale Abatangelo proviennent de différentes interventions à l’occasion de présentations publiques de son livre.

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CQFD n°218 (mars 2023)

« Moins de super profits, plus de super pensions », « Prenez la thune aux milliardaires, pas aux grands-mères »... Dans les manifs contre la réforme des retraites, ça casse du riche ! Dommage collatéral ? Que nenni ! Alors que les crises se cumulent, les inégalités se creusent toujours plus et les riches se font plaisir. D’où notre envie d’aller voir ce mois-ci du côté des bourgeois. Ou comment apprendre à mieux connaître l’ennemi, pour mieux le combattre évidemment. En hors-dossier, la Quadrature du net nous parle de la grande foire à la vidéosurveillance que seront les Jeux olympiques Paris 2024. Youri Samoïlov, responsable syndical, aborde la question du conditions de vie des travailleurs dans l’Ukraine en guerre un an après le début de l’agression russe. Avec Louis Witter, on discute du traitement des exilés à Calais à l’occasion de la sortie de son livre La Battue. On vous parle aussi du plan du gouvernement « pour la sécurité à la chasse » qui n’empêchera hélas aucun nouvel « accident » dramatique, d’auto-organisation des travailleurs du BTP à Marseille ou encore d’une exposition sur un siècle d’exploitation domestique en Espagne... Et plein d’autres choses encore.

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