Dans l’entretien qu’il nous a accordé [à lire par ici], Serge Quadruppani invite à « déborder à grande échelle » en sortant des cadres militants établis. De tels débordements essaimant un peu partout en France ces dernières semaines, on ne saurait en dresser un tableau exhaustif. Alors on a choisi de piocher dans la marmite quelques paroles et faits. Entre colère et joie, ce bouillonnement des casseroles se veut un début plutôt qu’une fin.
[/Émilien Bernard et Benoît Godin /]
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****BESANÇON : UN CLIMAT SOCIAL AIGRE-DOUX
Journaliste indépendant basé à Besançon, Toufik-de-Planoise vient de connaître (à nouveau) les joies de la garde à vue pour le seul fait d’avoir couvert des actions militantes. Il évoque son cas mais aussi le climat « chaud » de la préfecture du Doubs.
Le syndicaliste et le journaliste ont en commun d’être de grands habitués des cortèges bisontins… et de la répression. « Ça fait quinze ans que je suis très régulièrement emmerdé par la même clique, le trio préfet, procureur, DDSP [3], raconte Toufik. Pendant les Gilets jaunes, ils avaient déjà essayé de faire taire la contestation et son écho dans les médias indépendants. J’avais récolté une garde à vue, comme d’autres journalistes. Et là ils font la même chose parce que ça bouge fort à Besançon. Mais ils se tirent une balle dans le pied tant leur dossier est absurde. Je porte toujours le sigle Presse, ils savaient très bien que j’étais journaliste. »
Besançon n’est à première vue pas la capitale de l’émeute
Tranquille préfecture de quelque 120 000 habitants, Besançon n’est à première vue pas la capitale de l’émeute – même si le précurseur de l’anarchisme Proudhon y a vu le jour et si les luttes de Lip [4] s’y sont déroulées. Ces dernières restent d’ailleurs une référence : Toufik estime qu’avec des « pointes à 15 000 » manifestants, certains des récents rassemblements étaient « les plus gros depuis les défilés pour Lip en 1973 ». Il souligne surtout que l’ambiance des cortèges a basculé après le passage au 49.3 : « Il y a eu des moments plus tendus que d’habitude, avec même une soirée où les flics ne tenaient plus grand-chose. On a aussi vu l’apparition de cortèges de tête très actifs. Et j’ai été étonné de retrouver des gens inattendus auprès des plus déterminés. Des profs de ma connaissance, ou bien cette dame de bientôt soixante-dix piges, qui fait des ménages à droite à gauche pour survivre. » Besançon n’est pas la seule ville du coin à bouger, ajoute Toufik, car la région a eu l’occasion de casseroler du beau monde : « Six ministres sur la Franche-Comté, rien que ces derniers jours ! Aurore Bergé a aussi été bien accueillie à Montbéliard le 28 avril. » Et maintenant ? « Comme partout, on sent une grande colère », confie Toufik. Reste à savoir comment celle-ci va se traduire. Aux dernières nouvelles, ce 1er mai à Besançon n’a pas démérité, avec environ 10 000 manifestants et de beaux cortèges sauvages.
[/É. B. ET B. G./]
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****Eh, c’est nul !
Sur la route depuis mars, la tournée « Expérience SNU », censée promouvoir le service national universel de Macron aux quatre coins de l’Hexagone, peut se targuer d’avoir attiré… un paquet d’opposants. De Quimper (Finistère) à Paris en passant par Caen (Calvados), les stands déserts bardés d’étendards bleu-flic et protégés par des robocops ont été encerclés par des manifestants usant de sifflets, chants ou casserolades. De quoi bien perturber prises de paroles et animations, quand ce n’est pas l’ensemble du village qui était démonté dans l’urgence – bravo les Nantais ! Une déception pour l’infatigable (et épuisante) secrétaire d’État en charge du dossier. Et aussi pour tous les malheureux ados qui risquent de passer à côté des riches expériences du SNU : « harcèlement sexuel, propos racistes, humiliations et gestes déplacés » (Politis, 17/04/2023). Si votre région est à la traîne au classement des Intervilles du zbeul, sachez que la tournée continue jusqu’en juin. )]
****« LES ENSEIGNANTS VONT-ILS SE RÉVOLTER ? »
En mission pour sauver sa tête relancer son mandat, Macron a bien du mal à annoncer des mesures d’apparence sociale. Une exception : la revalorisation de la rémunération des enseignants. À ceci près qu’il s’agit en réalité d’une arnaque qui met encore de l’huile sur le feu, explique Jean-Marie Le Jeune, prof de français dans le secondaire et militant syndical à la CNT interpro de Brest.
On est déjà surchargé de boulot et on nous dit de charger encore la barque
On a perdu près de 25 % de pouvoir d’achat depuis une vingtaine d’années à cause du gel du point d’indice des salaires de la fonction publique. Macron aurait pu dégeler celui-ci, afin que notre travail soit davantage rétribué à sa juste valeur. Là, il arrive en père Noël avec 100 ou 200 balles par mois. Et il se permet de dire que c’est grâce à la réforme des retraites qu’il peut financer cette mesure ! En plus de cette revalorisation dite “socle”, Macron et [le ministre de l’Éducation nationale] Pap Ndiaye ont lancé leur “pacte enseignant”. Des missions sur la base du volontariat qui rapporteront chacune 1 250 euros bruts par an : remplacements de courte durée, soutien scolaire et coordination de projets innovants. C’est clairement “travailler plus pour gagner plus”. On est déjà surchargé de boulot, on croule sous les missions secondaires qui nous détournent de l’essentiel – les cours, les élèves – et là on nous dit de charger encore la barque !
Il y en a forcément qui vont accepter, vu qu’on est pris à la gorge. Surtout après les journées de grève de ces derniers mois… C’est particulièrement vrai pour les contractuels, de plus en plus nombreux et bien moins payés. Certains m’ont dit que même 50 balles, ils les prendraient ! Mais d’autres collègues ne pourront tout simplement pas : les temps partiels, les TZR [5] qui assurent des remplacements de plus en plus éloignés et passent déjà beaucoup de temps sur la route, les profs de matières moins demandées… Et les femmes, qui acceptent déjà beaucoup moins les heures sup’, elles qui très souvent ont une seconde journée de travail qui les attend à la maison.
Les documentalistes et les conseillers d’éducation sont exclus de ce pacte. Quant aux AED et AESH [6], ils n’ont droit à rien du tout. Aujourd’hui, leur rémunération est inférieure au seuil de pauvreté, à cause de temps partiels imposés. Quand on pense que l’école inclusive était un des grands chantiers du premier mandat de Macron !
Au final, ce “pacte enseignant” passe mal. Les syndicats ont tous claqué la porte à chaque fois que la question a été abordée, même les organisations les plus mollassonnes du type Unsa ou Sgen. Par contre, les enseignants n’ont pas rejoint en masse la contestation de la réforme des retraites – beaucoup sont résignés. Du fait de l’augmentation de la durée de cotisation à 43 annuités, on est déjà nombreux à devoir bosser jusqu’à 67 ans. Mais sur ce sujet du pacte qui les concerne directement, les enseignants, portés par le mouvement de contestation globale, vont-ils se révolter ? C’est la question de cette rentrée scolaire. »
[/Propos recueillis par Benoît Godin/]
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****Réassort d’urgence
« Les casserolades peuvent-elles faire (re)décoller les ventes de casseroles françaises ? » s’interroge sérieusement le très libéral Challenges sur son site web le 27 avril. À Marseille, on a déjà la réponse : carrément ! Emmaüs Pointe-Rouge lançait quatre jours plus tôt une « vente spéciale de dispositifs sonores portatifs » avec des casseroles bradées à moitié prix. L’association avait beau préciser « Pas de remboursement en cas de confiscation », l’opération a fait un carton : tout est parti dans la journée (La Marseillaise, 24/04/2022). Quand on voit la tronche de nos casseroles après une bonne casserolade, on comprend qu’il y ait besoin de se rééquiper fissa… Cent jours, c’est long !
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[( Suite de cette double page consacrée dans notre numéro 220 au mouvement social de ce printemps 2023, un entretien avec Serge Quadruppani à retrouver ici :
****« Pratiquer le débordement à large échelle »
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