Mais qu’est-ce qu’on va faire de… la Silver économie ?
C’était en 2010, lors des « Trophées du Grand Age et du Bien Vieillir », la société Legrand, spécialisée en électricité, se voyait remettre le prix du lauréat pour son « chemin lumineux ». ADN de la trouvaille : sécuriser le trajet nocturne lit-toilettes, particulièrement « accidentogène » chez les personnes âgées, par un balisage lumineux activé grâce à des détecteurs de mouvements. Trois ans après, le chemin lumineux n’en finit pas d’éblouir puisque même Le Monde1 s’en faisait le fervent échotier lors d’un article consacré au lancement officiel de la « Silver économie » le 24 avril dernier. Et l’article de dérouler le tablier d’un véritable pont d’or – « 0,25 point de croissance chaque année » – entre les vingt millions de Français de plus de soixante ans attendus pour 2030 et le génie de l’industrie techno-numérique. Si l’expression « Silver économie » était lâchée (l’anglicisme « silver » faisant référence à la chevelure argentée des « seniors »), les fauves d’une industrie possiblement florissante ne l’étaient pas moins puisque 650 professionnels du secteur se sont pressés ce jour-là pour recevoir l’extrême-onction de Michèle Delaunay, ministre déléguée chargée des personnes âgées et de l’autonomie et d’Arnaud Montebourg, ministre du Redressement productif. Le message de l’État français : « Le gouvernement [entend jouer] pleinement son rôle de “facilitateur”, d’“organisateur” et de “catalyseur” auprès des acteurs économiques d’une filière industrielle émergente, qui pourrait faire de la France l’un des leaders mondiaux de la Silver économie2 ».
Que trouve-t-on dans l’œil du cyclone de cette prometteuse révolution ? Un gisement d’innovations labellisées « gérontotechnologies » et censées simplifier, sécuriser ou améliorer la vie de nos vieux qui, s’ils n’ont plus de force de travail à fournir au pays, n’en possèdent pas moins un pouvoir d’achat souvent à la hauteur de leur grand âge. Isolés à domicile3 ou parqués dans des pavillons médicalisés, comment pourraient-ils résister aux robots d’assistance et autres tablettes numériques adaptées à leur vue déficiente ? Et pour les paralytiques ? Quelle joie de guincher sur les vieux tubes diffusés par la borne musicale Mélo® ! Et pour les comateux ? Quel surcroît de tranquillité d’esprit grâce à la montre Vivago® capable de « déclencher une alerte automatiquement, de façon simple et sans appareillage lourd, quand son utilisation se trame dans un état d’inactivité anormalement prolongé (malaise, perte de connaissance, coma…) » ! On le voit : si tous ces outils vont dans le sens de conserver une certaine autonomie à nos chères têtes blanches, ils vont aussi dans celui de d’une fragmentation toujours plus accrue de leur milieu social, tant familial que relationnel. Pourquoi s’emmerder à passer prendre des nouvelles de mémé alors qu’on l’a équipée d’un terminal de téléassistance du style « Quiatil + » qui, comme la pub l’indique, est un véritable créateur de liens ?
Ne jouons pas les casseurs d’ambiance pour autant. Pensons concret, pensons créations d’emploi. Interrogé sur France-Info, le 7 août dernier, Jérôme Arnaud ne cachait pas ses prétentions : « On imagine pouvoir créer 5 000 emplois à terme dans cette zone qui est en pleine transformation. » Arnaud est à la tête de l’association Soliage, un « cluster » (entendez « groupement ») en innovation réunissant une cinquantaine d’entreprises du secteur de l’économie du vieillissement : rien de moins qu’une « Silver Valley » sur la commune d’Ivry-sur-Seine (Val-de-Marne) nantie de 5 000 m2 de foncier desquels devrait germer un pôle d’entreprises et de laboratoires engagés dans la bataille de l’« or gris ». Calquée sur la célèbre « Silicon Valley », la « Silver Valley » compte à terme rassembler la force de frappe de plus de 300 entreprises. Tout ceci à quelques encablures de l’hôpital Charles-Foix, spécialisé en gériatrie. De quoi nourrir des partenariats d’envergure. Et une belle croissance géronto-compatible.
1 Le Monde.fr, 26.04.2013, « La “silver economy” veut mettre la high-tech au service des seniors ».
2 social-sante.gouv.fr.
3 Un quart des plus de 75 ans sont en situation d’isolement relationnel. Cf. le rapport de la Fondation de France.
Cet article a été publié dans
CQFD n°114 (septembre 2013)
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Paru dans CQFD n°114 (septembre 2013)
Dans la rubrique Mais qu’est-ce qu’on va faire de…
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Illustré par Charmag
Mis en ligne le 07.11.2013
Dans CQFD n°114 (septembre 2013)
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