Shocked, or not shocked
Les premiers punks étaient-ils anarchistes ?
Les premiers groupes punks apparus dans les années 1970 étaient-ils anarchistes ? Les Sex Pistols avaient beau le clamer, ils étaient surtout un produit marketing – caricatural dans ses textes comme ses attitudes – qui cherchait à choquer pour remplir les salles1. Mais qu’en est-il des groupes qui ont suivi ? Une question faussement évidente que le chercheur et musicien Jim Donaghey a décidé de prendre en main dans Bakounine Vodka : punk et anarchisme (éditions BPM2, avril 2024). Écrit en 2013 « sous l’impulsion d’une colère froide » face aux « éloges flatteurs écrits par les fans de tel ou tel groupe, des guides du consommateur pour collectionneurs obsessionnels et des beaux ouvrages qui simulaient la révolte », ce petit ouvrage frontal et succinct repart du début pour étudier les entrelacements très souvent négligés de la contre-culture punk émergente et des valeurs libertaires. Résultat, une histoire complexe et passionnante d’un auteur qui veille à ne pas simplifier ce dont il parle pour amener plusieurs réponses à une seule et même question, le tout accompagné de textes traduits, d’une frise chronologique et d’innombrables références musicales.
L’auteur parle d’une « pulsion libertaire » que police et médias condamnaient en bloc
Jim Donaghey raconte d’abord « la stratégie du choc » d’un « punk précoce » qui se voulait scandaleux ou offensant – quitte à user d’injures racistes – dans une société anglaise très conservatrice. Sans idéologie politique élaborée, il s’agissait principalement de ruer dans les brancards de l’ordre et de la morale. Alors que le genre était souvent présenté comme s’étant construit contre les années hippies et leurs désillusions, l’auteur précise que ce rejet était avant tout rhétorique tant les deux ont en commun un « sens partagé de l’anticonformisme, la critique du consumérisme et l’anticapitalisme » issu de la tradition anarchiste. S’élabore une « culture oppositionnelle franche et directe » face aux oppressions – l’auteur parle d’une « pulsion libertaire » – d’une police et de médias qui la condamnaient en bloc ; et d’une industrie culturelle qui a parfois vu ses intérêts capitalistes prendre le dessus « sur toutes considérations morales lorsqu’un groupe accédait à une masse critique de popularité et de rentabilité ».
L’anarchisme du punk des débuts est surtout issu de la pratique, par nécessité puis de manière revendiquée. Un « anarchisme intuitif » qui s’est développé à contre-courant des cultures et discours politiques dominants, et grâce auquel « des positions politiques plus claires et conséquentes ont pu voir le jour la suite ». Et l’auteur de poser les termes : « Le rôle du punk, culture improbable issue des bas-fonds, dans la politisation de centaines de milliers d’individus de par le monde, dans une perspective anarchiste, ne peut pas être négligé. »
1 Lire notre rubrique « Mes héros toxiques » sur Sid Vicious, CQFD n°224 (novembre 2023).
2 Pour en savoir plus sur une jeune maison d’édition qui propose une lecture politique des cultures musicales populaires : « Bouquins de zik : “Des trucs qui te tiraillent en restant populaire” », CQFD n°223 (octobre 2023).
Cet article a été publié dans
CQFD n°234 (octobre 2024)
Dans ce numéro, on revient avec Valérie Rey-Robert sur ce qu’est la culture du viol dans un dossier de quatre pages, avec en toile de fond l’affaire des viols de Mazan. On aborde aussi le culte du patriarche et les violences sexistes dans le cinéma d’auteur. Hors-dossier, Vincent Tiberj déconstruit le mythe de la droitisation de la France. On se penche sur les centres d’accueil pour demandeurs d’asile en Italie, avant de revenir sur la grève victorieuse des femmes de chambres d’un hôtel de luxe à Marseille. Enfin, on sollicite votre soutien pour sortir CQFD de la dèche !
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Paru dans CQFD n°234 (octobre 2024)
Dans la rubrique Bouquin
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Mis en ligne le 19.10.2024
Dans CQFD n°234 (octobre 2024)
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