Sexe et santé au Spot Longchamp

La transformation sociale par le dépistage

Basé à Marseille et porté par l’association Aides, le Spot Longchamp est un centre de santé sexuelle qui a la particularité de s’adresser aux populations les plus précarisées. Ici, personnes exilées, travailleuses du sexe ou trans peuvent rapidement trouver informations et soins adaptés à leurs réalités. Reportage.

Au numéro 3 du boulevard Longchamp, à quelques pas des bureaux de CQFD, se trouve un lieu peu connu du grand public. Même s’il se fait plutôt discret, le ton est donné dès le pas de porte franchi. Quelqu’un·e vient à notre rencontre pour nous accueillir et l’ambiance se fait chaleureuse. Les nombreux flyers à l’entrée attirent le regard, tout comme les posters et photos d’exposition épinglées au mur1. En fond sonore Cabrel chante qu’il n’y a pas d’amour sans histoires, et l’odeur du café guide naturellement vers la « salle d’attente », un salon cosy où patienter avant son tour. Bienvenue au Spot Longchamp, un centre de santé sexuelle unique en son genre.

Sens de l’accueil et résultats rapides

Inauguré en 2016 en tant que Centre gratuit d’information, de dépistage et de diagnostic (Cegidd) porté par l’association Aides, le Spot est un des quatre lieux en France à expérimenter depuis 2021 la fonction de Centre de santé sexuelle d’approche communautaire (CSSAC)2. Une hybridation pensée pour répondre à de grandes ambitions, alors que Marseille se situe dans la 2e région métropolitaine la plus touchée par l’épidémie de VIH après Paris. Le Spot propose ainsi des services de santé sexuelle adaptés et rapides aux populations les plus précarisées et les plus exposées. « Même si on ne refuse personne, on s’adresse avant tout aux personnes vulnérables au VIH, c’est-à-dire les personnes vivant avec le virus, les hommes ayant des relations sexuelles avec d’autres hommes (HSH), les personnes migrantes, les personnes trans, surtout d’Amérique latine, les consommateur·rices de produits psychoactifs, et les travailleur·ses du sexe, précise Fatima Zahra Bernissi, coordinatrice du centre. Leur point commun ? La discrimination et la précarité qui les éloignent des systèmes de soin. »

« Dès que les personnes passent la porte, la première interaction n’est pas de leur demander leur carte Vitale mais d’être à l’écoute »

Pour répondre à ce défi, le Spot mise sur un accueil – inconditionnel, sans rendez-vous, anonyme ou non – qui prend le temps de s’adapter aux réalités des personnes concernées. « Dès que les personnes passent la porte, on essaie de les mettre en confiance. La première interaction n’est pas de leur demander leur carte Vitale mais bien d’être à l’écoute de leurs besoins tout en leur présentant notre offre de soins dans un cadre humanisant3  », raconte Ludovic, infirmier. On ne remarque pas tout de suite l’absence de blouses blanches, le parquet en bois clair à la place de l’habituel lino immaculé, ou les bureaux des salles de consultation collés face au mur. « Personne ne travaille derrière un écran ou un bureau, et l’échange se fait côte à côte. Il y a une vraie volonté de transparence sur les informations collectées et sur notre manière de travailler », poursuit-il.

Les résultats et traitements sont quant à eux disponibles dans les heures qui suivent afin de ne pas risquer de perdre de vue les personnes venues en consultations. « Le 2e public du Spot après les HSH, ce sont les personnes migrantes, souvent arrivées en France après un parcours chaotique et violent. Ils et elles sont dans une situation où, entre la barrière de la langue, la précarité et les difficultés d’accès au soin, vivre leur sexualité est compliqué – sans parler de leur vie quotidienne, confie un intervenant. Alors quand ils et elles viennent nous voir, on doit pouvoir en un seul rendez-vous répondre à leurs attentes, leur transmettre les résultats, leur fournir un traitement et un parcours de soins adaptés.  »

La santé sexuelle communautaire

Au-delà de la qualité de l’accueil et de la rapidité des résultats, tout l’intérêt de la dimension « communautaire » du Spot se trouve dans ce que permettent ces temps d’échanges : faire émerger d’autres besoins. « On a remarqué que peu de femmes fréquentaient le lieu, et à partir des besoins des femmes migrantes à Marseille, on a mis en place une consultation gynécologique, poursuit la coordinatrice du centre. Une réponse aux besoins de nos publics, et une porte d’entrée vers un parcours de soins plus général. » Plus encore, cela donne parfois vie à d’autres projets. « On a mis en place un accompagnement sur l’hormonothérapie pour répondre aux besoins des personnes trans qui venaient nous voir et, au fil des discussions, elles ont exprimé le besoin de faire les injections elles-mêmes. Résultat : on propose des séances d’aide à l’injection, tout en visant à favoriser leur autonomie, pour qu’elles n’aient plus besoin de nous  », complète Ludovic.

« L’accompagnement qu’on propose doit permettre aux personnes de monter en compétence et de devenir autonomes dans leur parcours de soins »

Une capacité d’écoute qui permet de constamment adapter et élargir l’offre de soins à partir des réalités du terrain. « On part du dépistage pour faire du soin, mais on a un objectif de transformation sociale. À partir de ces expériences de terrain, l’association va pouvoir porter la parole des personnes concernées auprès des autorités, et l’accompagnement qu’on propose doit permettre aux personnes de monter en compétence et de devenir autonomes dans leur parcours de soins », conclut Fatima Zahra Bernissi. Et, bonne nouvelle pour Marseille, à la fin de l’expérimentation, l’efficacité a été démontrée et les efforts des équipes du Spot ont payé : dès avril 2025, le projet va rentrer dans le droit commun, pour que vive la santé sexuelle inclusive et accessible à tout le monde.

Jonas Schnyder

Les horaires du Spot Longchamp sont disponibles sur leur page Facebook. Et pour plus d’informations en santé sexuelle, voir les sites des association Aides et Sida Info Service, ou appeler leur numéro vert : 0800 840 800.


1 Il s’agit de l’exposition « Nous sommes ici. Les femmes brésiliennes à Aides », inaugurée pour la Journée internationale des droits des femmes en 2024.

2 Alors que le statut du Cegidd garantit l’anonymat, permet de prendre en charge les personnes sans droits et de délivrer certains traitements spécifiques, celui de CSSAC propose notamment des résultats plus rapides grâce à la biologie délocalisée (les tests en labo sont faits sur place grâce à une machine spéciale) et une offre de soins plus large.

3 Le Spot propose notamment des accompagnements individuels en santé sexuelle (informations, soutien et stratégie de réduction des risques), une offre de dépistage (VIH, hépatites et IST), traitements et vaccinations, consultations spécialisées (psychologie, sexologie, gynécologie, addictologie, hormonothérapie, assistance sociale) et des accompagnements collectifs (groupes d’auto-supports, ateliers collectifs et mobilisations).

Facebook  Twitter  Mastodon  Email   Imprimer
Écrire un commentaire

Cet article a été publié dans

CQFD n°239 (mars 2025)

Dans ce numéro, un dossier « Vive l’immigration ! » qui donne la parole à des partisan·es de la liberté de circulation, exilé·es comme accueillant·es. Parce que dans la grande bataille pour l’hégémonie culturelle, à l’heure où les fascistes et les xénophobes ont le vent en poupe, il ne suffit pas de dénoncer leurs valeurs et leurs idées, il faut aussi faire valoir les nôtres. Hors dossier, on s’intéresse aux mobilisations du secteur de la culture contre l’asphyxie financière et aux manifestations de la jeunesse de Serbie contre la corruption.

Trouver un point de vente
Je veux m'abonner
Faire un don