Mange, cours, vole !

Le resto-basket, de A à (presque) Z

Quitter un restaurant sans régler la douloureuse ? Tout un art. Ici sous forme d’abécédaire : histoires vécues et échange de techniques (plus ou moins) confirmées. Mais attention : si vous vous faites chopper, on niera toute responsabilité.

A comme « Argent »

Vous n’en avez pas, ou pas assez. Ou vous n’aimez pas en dépenser.

B comme « Bouffe »

Mais vous avez faim. Solution : ne pas régler la note. Ce qu’on appelle resto-basket, resquille ou addition volante.

C comme « Courir »

Pas obligatoire. Certains se barrent en courant comme des dératés, d’autres partent discrètement, d’un pas innocent. Si vous optez pour la première solution, n’oubliez pas qu’on court moins vite après avoir bien bu et mangé.

Par Baptiste Alchourroun.

D comme « Dispositif »

Un resto-basket réussi demande un peu de planification. Jacques1, qui a pas mal pratiqué à Toulouse, reconnaît ainsi toujours les lieux avant – avec une préférence pour les terrasses, dont il est plus facile de partir, et pour les établissements d’angle. Organisé, il va jusqu’à planquer son vélo aux alentours, pour disparaître plus vite : « Généralement, je sors fumer une clope, et je marche jusqu’au coin de la rue. Puis je tape un sprint pour rejoindre mon vélo, je l’enfourche et bim, je ne suis plus là. »

E comme « Enfoirés »

Ce que dit le serveur en constatant votre fuite. C’est là que le bât blesse : l’addition est souvent retenue sur le salaire ou les pourboires du serveur2. Une pratique pourtant interdite – l’article L.1331-2 du Code du travail stipule que l’employeur ne peut sanctionner financièrement son salarié. Les restaurateurs se justifient (mal) en prétendant vouloir s’assurer que les serveurs ne les arnaquent pas et qu’ils gardent bien à l’œil les clients.

Bref, les serveurs n’aiment pas les pratiquants de resto-baskets. À l’image de l’auteur du blog « Tribulations d’un barman », qui leur adresse quelques mots3 : « Non, ce n’est pas le chiffre d’affaires du restaurant que vous volez ; non, ce n’est pas une multinationale douteuse et sans scrupules. Mais bien les quelques pièces [...] que nous imaginions déjà au fond de notre poche. » Restauration, ton univers impitoyable.

F comme « Fumer »

Pour le resto-basket, il y a eu un avant et un après février 2007 – date d’application de la loi interdisant de fumer dans les lieux publics. Depuis, les restaurateurs doivent tolérer les allées et venues de leurs clients. S’en griller une est ainsi devenu parfait prétexte pour mettre les voiles. Quitte à préparer le terrain, comme Jacques : « Je sors fumer une clope entre chaque plat ou verre. Ça habitue les serveurs à me voir sortir, ils se méfient moins. »

G comme « Grivèlerie »

Ou la qualification juridique du resto-basket. Soit le fait de commander un service qu’on n’est pas en capacité ou qu’on refusera de payer. Un délit théoriquement punissable de six mois d’emprisonnement et de 7 500 € d’amende. Dans la pratique, les restaurateurs appellent rarement les condés. S’ils vous choppent, vous risquez surtout une copieuse engueulade avant de devoir régler la douloureuse.

H comme « Habits »

Ceux que vous abandonnerez à votre table en sortant fumer une clope au moment du café. Habile technique, expliquée par Caroline, du haut de sa dizaine de resto-baskets (plus ou moins) réussis : « L’idée, c’est de se pointer au restaurant avec des affaires dont tu te fiches ou trouvées dans la rue. Après avoir mangé, tu sors cloper en laissant une vieille veste sur la chaise, un portefeuille vide sur la table, un jeu de clés inutile ou un portable cassé. En voyant tes affaires, le serveur ne s’inquiète pas – il pense que tu vas revenir... »

I comme « Incitation »

Les bonnes surprises, ça existe. Pour Gaby, c’était il y a vingt ans, dans un resto de Bayonne. «  On était cinq, les seuls clients de la salle. Dès notre arrivée, le serveur nous a branchés : “La bouffe est crade, le patron est un connard, faut pas payer.” Et à la fin du repas, il nous a fait sortir par la cuisine, en douce. »

J comme « Je ne paye pas »

Voilà.

L comme « La moitié »

Ne rien raquer, mais ne manger qu’une partie du plat. Petit bras ? Oui, mais sans risques, selon le blog « Tribulations d’un barman ». L’auteur revient ainsi sur le cas d’un couple très furtif : « Commande éclair, deux cheeseburgers, une carafe d’eau, le moins de contacts possibles avec le staff. Plus invisible, tu t’effaces dans le néant. Mais [le couple] n’a mangé que la moitié de ses plats. Avant de partir. […] Qui soupçonnerait qu’ils sont partis en laissant les assiettes à demi pleines ? Pendant une heure, nous avons supposé qu’ils étaient aux toilettes, en terrasse, dehors en train de fumer… » Pas con.

M comme « Massif »

Autant voir les choses en grand. En mars dernier, un restaurateur espagnol a eu la surprise de voir les 100 convives attablés dans son resto se lever et gagner leurs véhicules. Sans régler la note de 2 000 €, se plaint le patron : « Ils ne sont pas sortis par petits groupes, mais tous à la fois. Les employés n’ont pas pu les retenir. On ne peut rien faire quand ils sont si nombreux. »

N comme « Nombreux »

Pas besoin d’être 100 non plus. À une dizaine, l’effet de nombre joue déjà. À l’image du seul resto-basket jamais effectué par Bastien, il y a une trentaine d’années à Marseille. Souvenir : « Je traînais alors avec une bande de rockeurs-motards sans le sou. On a décidé un jour de se faire un resto-basket, dans un établissement trop cher pour nous. Avec nos dégaines, le patron a tout de suite flairé l’embrouille... Il est même venu nous expliquer qu’il avait du mal à joindre les deux bouts – j’avais de la peine pour lui. À la fin, on s’est quand même tous tous rués à l’extérieur, en explosant la porte au passage et en piétinant le chien couché à l’entrée… On a couru vingt mètres, puis on s’est mis à marcher – qu’est-ce que le mec pouvait faire, de toute façon ? »

O comme « Oh mince, j’ai oublié de payer ! »

Ce que vous direz... si on vous attrape.

P comme « Plaisir »

Contrasté. C’est jouissif de jouer avec les règles. De « commander les plats les plus chers, ceux que tu ne pourrais jamais te payer », note Caroline. Et de «  prendre un grand coup d’adrénaline au moment de t’enfuir », complète Jacques. Mais le stress peut aussi gâcher le plaisir. Caroline encore : «  Je n’ai jamais vraiment profité d’un repas que j’avais prévu de ne pas régler. La perspective de la fuite plane tout au long, elle t’empêche de savourer. »

Q comme « Qualité »

Quitte à prendre des risques, autant que ça en vaille la peine. Pour Jacques, qui ne s’est jamais fait chopper, les resto-baskets sont l’occasion de fréquenter des établissements qu’il ne pourrait pas se payer, « style t’as deux ou trois serveurs qui s’occupent de toi, et tu manges vraiment bien. » Plus difficile quand l’addition est salée ? « Pas forcément. Ils sont tellement persuadés que le client est roi qu’ils n’imaginent pas que tu vas la leur faire à l’envers. »

R comme « Rétorsion »

Quand la bouffe n’est pas bonne, le resto-basket est un devoir.

S comme « Standing »

Pour ne pas se faire chopper, mieux vaut la jouer caméléon. Et s’adapter au standing de l’établissement, recommande Jacques : « S’il s’agit d’un bon resto, je repasse mes habits et mets une petite chemise. Rien de fou : les classes moyennes supérieures ne se mettent pas sur leur 31 pour aller au resto... Il s’agit juste de bien présenter, avec les bons codes. »

T comme « Trébucher »

À éviter si vous partez en courant. Au risque sinon de prendre cher. Fabrice se souvient ainsi de pintes descendues en terrasse d’un bar touristique : « On était une douzaine, on a descendu cinq bières chacun. Avant de nous rendre compte que la pinte était à 8 €. On s’est motivés pour partir en courant, mais on a renversé la table en nous levant. L’un d’entre nous s’est emmêlé les pattes dedans, les serveurs lui ont sauté dessus. Il a dû payer pour tout le monde, il y en avait pour 500 €... »

U comme Urgence

L’urgence de fuir pour ne pas risquer d’y finir.

W comme WC

S’y cacher ? Mauvaise idée. On ne fuit pas aux toilettes. Tout au plus, on s’y barricade. Et encore... Ainsi de cette histoire vécue par Caroline : « J’étais avec une copine à Barcelone, sans un rond. On va quand même au resto, puis on décide de se barrer en courant. Sauf que le patron nous poursuit. Et gagne peu à peu du terrain. À bout de souffle, on se réfugie dans un kebab et on s’enferme dans ses toilettes. Le mec était de l’autre côté, à taper sur la porte, il a bien fallu sortir… Il nous a ramenées à son établissement et on a réglé la note. Pas glorieux. »


1 Les prénoms ont été modifiés.

2 Dans 80% des cas, à en croire la CGT Restauration.

3 « De l’art et la manière du resto-basket », billet mis en ligne le 31 juillet 2016.

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