Échec scolaire
Laïcité : « On court après le soleil »
Aujourd’hui, le rectorat m’envoie dans un collège du 13e pour une formation sur la « laïcité ». Non seulement ça sent la propagande laïcarde à plein nez, mais en plus ça s’étale sur six heures qui s’ajoutent à nos emplois du temps surchargés. Que le grand public se rassure : ces profs qui « foutent rien » sont enfin formé·es aux valeurs de la République. Ouf.
Mais, surprise. Le formateur, prof de SES, tient un discours plus subtil qu’attendu sur la question : « Le principe de laïcité, c’est laisser libre de croire et ne pas croire […]. Votre rôle c’est de les aider à se questionner sur leurs pratiques religieuses. Font-ils ça par conformisme ou par choix ? Pourquoi croient-ils ? » D’après lui, qui travaille à une thèse sur le rapport entre l’islam et la consommation et qui est par ailleurs de confession musulmane, les pratiques religieuses dans les quartiers populaires marseillais sont d’abord motivées par le conformisme social, et non par la foi. On mange hallal et on porte le voile comme on achète des AirMax, d’abord parce que ça suscite l’approbation de la famille et des ami·es. Quand « un élève jure sur le Coran, c’est comme dire “mon Dieu” en bon français », c’est du langage courant. De l’argot d’adolescent, voilà donc ce qui inquiète les têtes vides de CNews. Mais il rappelle aussi que pour ces enfants, souvent déclassé·es socialement, adopter certaines pratiques confessionnelles est également une pratique défensive : on valorise une identité différente parce qu’on se sent relégué, pas français…
La discussion glisse sur l’interdiction des signes ostentatoires, fer-de-lance de la loi de 2004 sur la laïcité. D’après le formateur, « les élèves trouveront toujours une manière de se distinguer et d’affirmer leur identité. Après le voile, on interdira le bandeau ? Puis le foulard autour du cou ? C’est infini, on court après le soleil. » L’application de cette loi produit surtout des situations absurdes et des comportements racistes de la part de certains membres du personnel éducatif. Une collègue témoigne : « Dans mon collège on a commencé à demander aux jeunes filles d’enlever leurs bandeaux, mais uniquement aux jeunes Maghrébines… » L’instructeur loue néanmoins la neutralité que produit cette loi en classe : « Peut-être la possibilité pour ces jeunes d’être autre chose que conformés par leur milieu ? » Mouais, est-ce que réfléchir sur son identité nécessite-t-il forcément d’abandonner un style vestimentaire ?
Preuve que le danger n’arrive pas forcément d’où on l’attend, un autre collègue prend la parole : « La laïcité devrait également s’appliquer aux opinions politiques ! J’ai une collègue qu’a affiché un tract anti-sexiste dans la salle des profs ! Merci d’avoir parlé de l’islam, mais il faut aussi prévenir sur le danger wokiste qui vient mettre en cause la laïcité ! » Malaise dans l’assemblée qui s’indigne heureusement de ces propos. Preuve que les membres de l’éduc-nat’ sont peut-être moins réacs que l’institution qui les emploie ?
Fin de journée. Je rentre chez moi étrangement satisfait. La propagande n’a pas eu lieu, mieux : on a eu droit à un réquisitoire engagé contre la loi de 2004.
Cet article a été publié dans
CQFD n°238 (février 2025)
Dans ce numéro, un dossier sur la Syrie post-Bachar, avec un reportage sous les bombes turques à Kobané. Mais aussi des nouvelles de Mayotte où il faut « se nourrir, reconstruire et éviter la police ». On se penche également sur une grève féministe antifasciste et sur la face cachée des data centers. Puis on se demandera que faire de la toute nouvelle statue du général Marcel Bigeard, tortionnaire en Algérie, qui vient d’être érigée en Lorraine – un immense scandale.
Trouver un point de venteJe veux m'abonner
Faire un don
Paru dans CQFD n°238 (février 2025)
Par
Illustré par Mona Lobert
Mis en ligne le 28.02.2025
Dans CQFD n°238 (février 2025)