Après le déluge

Mayotte : « Se nourrir, reconstruire, éviter la police »

Le 14 décembre dernier, le cyclone Chido dévastait le nord de l’île de Mayotte. Depuis, entre les coups de com’ du gouvernement, son obsession migratoire et le manque cruel d’eau et de vivres, les habitant·es tentent de panser leurs plaies. Entretien avec Louis Witter, journaliste indépendant, resté 40 jours sur place.
Yasser, dans le bidonville de Kawéni, le 7 janvier 2025. Trois semaines après le passage dévastateur du cyclone Chido, le quartier est déjà reconstruit, presque à l’identique.
Photo Louis Witter

Tu as débarqué à Mayotte quelques jours après le passage du cyclone. Quand les secours sont-ils arrivés ? La France a-t-elle reçu de l’aide extérieure ?

« Dans les heures qu’ont suivies le cyclone, les primo-intervenants étaient l’armée et les pompiers. Ils ont déblayé les routes pour que les secours interviennent. Les 150 personnels de la Croix-Rouge locale étaient aussi mobilisés. Les renforts de l’Hexagone sont arrivés autour du 20 décembre. Pour ma part, j’étais dans un vol affrété par la préfecture qui comptait également une cinquantaine de personnes de la protection civile, et c’était déjà la deuxième équipe de rotation.

Pour l’aide extérieure, cela fonctionne un peu comme un appel d’offres : les pays proposent et la France valide selon ses besoins. L’impression que j’ai eue, c’est qu’on a bloqué les choses. Je pense que la France a voulu prouver aux autres pays qu’elle pouvait se débrouiller seule. Ce qui n’a pas franchement été le cas.

« À ce jour, certains quartiers, y compris à Mamoudzou et Kawéni, n’ont toujours vu personne »

Au début de la crise, l’essentiel de l’aide était matériel (de l’eau, des vivres) et médical. Ça a été géré par les communes mahoraises. Le problème, à mon avis, c’est qu’elles n’avaient pas vraiment les épaules pour endosser une telle responsabilité. D’autant que les premiers intervenants avaient eux-mêmes été victimes du cyclone. Pendant la tempête, le directeur territorial de la Croix-Rouge a reçu un message de sa compagne qui disait “La maison n’a plus de toit”, puis plus rien pendant deux jours. Il ne pouvait pas décemment appeler le préfet pour demander à rentrer chez lui, mais il ne pouvait pas non plus répondre à sa femme “désolé je travaille”. Les pompiers, les secouristes, les municipaux ont tous vécu des situations similaires.

Après, Mayotte est aussi un département où la corruption va bon train. J’ai reçu des témoignages qui disaient que certains employés de communes se seraient accaparés une partie de l’aide alimentaire reçue. Il n’y a eu aucun contrôle là-dessus.

À ce jour, des quartiers, y compris à Mamoudzou et Kawéni, n’ont toujours vu personne. Certes, des points de distribution alimentaire ont été mis en place dans les mairies, mais dans certains secteurs, aucune intervention directe n’a eu lieu. »

Tu es resté plus d’un mois sur place, tu as forcément dû voir passer Macron, Bayrou et ses ministres, Le Pen... Comment ça s’est passé avec les mahorais·es ?

« Les Mahorais ressentent un fort attachement à la France et je pense qu’ils avaient beaucoup d’attentes. Alors quand Macron est descendu de l’avion et qu’il leur a dit que ça aurait pu être pire, ils ont vite déchanté. Beaucoup se sont dit : “Mais comment ils nous parlent ?

L’État a vraiment tenté d’imposer son récit, à savoir : “Tout est sous contrôle”. Et pendant ce temps, la préfecture incitait les journalistes à aller faire des images de distributions alimentaires, de personnes qui rebâchaient des écoles… C’est visuel, les télés adorent !

« Sans le prof et le CPE venus interpeller Élisabeth Borne devant les caméras pour lui dire que les distributions n’avaient pas été faites, l’Hexagone aurait pu croire que tout se passait à merveille ! »

Puis il y a eu la tournée des ministres : un immense plan com’ ! J’étais présent quand ils sont allés dans une école de Kawéni. À 100 mètres de là, le lycée des Lumières abritait encore 600 sinistrés auxquels la commune n’avait donné que quelques briques de jus de fruits et des biscuits. Les distributions de repas et d’eau potable étaient prises en charge par des bénévoles, des enseignants, des CPE, des kinés... Des gens qui se sont relevés les manches, qui ont fait des cagnottes en ligne pour récolter des fonds de l’Hexagone et qui, une fois l’argent arrivé, sont allés faire six heures de queue pour acheter du riz et de l’eau. Sans le prof et le CPE venus interpeller Élisabeth Borne devant les caméras pour lui dire, calmement mais de façon argumentée, que les distributions n’avaient pas été faites comme elle le prétendait, l’Hexagone aurait pu croire que tout se passait à merveille ! »

Le Plan « Mayotte Debout » promet que tout sera reconstruit d’ici deux ans. Qu’est-ce que tu en penses ?

« Sur la construction, à Mayotte, il y a de gros problèmes. D’abord les prix : certes le coût d’importation des matériaux augmente les tarifs, mais les boîtes se gavent. D’autant qu’il y a peu de concurrence : Colas ou Vinci obtiennent la majorité des marchés publics et imposent des prix faramineux. Il y a également un gros manque de main-d’œuvre qualifiée. Sur les chantiers, on voit beaucoup de personnes comoriennes, avec ou sans papiers, qui bossent au black.

Et puis, comment reconstruire ? Selon les normes bioclimatiques jusqu’ici en vigueur à Mayotte, ou bien avec de nouvelles normes cycloniques ? Par exemple, jusqu’ici, l’électricité était aérienne. Vont-ils penser à enterrer les câbles en réélectrifiant ? Ce n’est pas ce qui semblait se faire quand je suis parti. Ce sont de plus gros travaux certes, mais que va-t-il se passer au prochain cyclone ?

Enfin, jusqu’ici, l’État ne s’est pas montré très volontaire pour remédier au problème de logement de l’île. Il n’y a qu’à voir le peu de logements sociaux construits chaque année, dans le département le plus pauvre de France ! Seulement 150 en 2024, 84 en 2020, 0 en 2016.

C’est donc un plan ambitieux. Est-ce qu’il est réalisable ? J’en doute fortement. Et les personnes que j’ai rencontrées sur place aussi. D’autant que le gouvernement focalise beaucoup plus sur l’immigration ! »

Zaitouni est hebergée au lycée des Lumières de Kawéni à Mayotte depuis le passage du cyclone Chido. Elle et ses six enfants craignent de devoir quitter cet abri, alors qu’ils ont tout perdu. Kawéni, Mayotte, 25 décembre 2024.
Photo Louis Witter

Justement, Bayrou dit vouloir « interdire » la reconstruction des bidonvilles où se trouve la majorité des personnes immigrées. Mais est-ce seulement possible ?

« Une semaine après le cyclone, ils étaient déjà reconstruits. Même si le préfet a pris un arrêté préfectoral d’un cynisme ahurissant pour interdire la vente de tôles aux personnes n’ayant pas de papiers et de justificatif de domicile. C’est aussi ce qui s’est passé avec l’aide alimentaire. Certaines communes sont fermement opposées à l’aide aux Comoriens et ont voulu limiter les distributions à ceux qui avaient des papiers. Mais elles se sont sûrement fait taper sur les doigts par la préfecture. »

« L’ensemble de la population a été durablement traumatisé »

On voit parfois des propos anti-immigration infuser dans la société mahoraise. Est-ce que ça a impacté la solidarité pendant et après le cyclone ?

« Au moment du cyclone, des Mahorais ont ouvert leurs portes à ceux qui ne pouvaient pas s’abriter. Puis ça s’est essoufflé. Chacun est retourné à sa réalité : les gens des bidonvilles sont allés reconstruire leurs bangas1 et les gens qui vivaient en dur ont appelé leur assurance pour réparer leur toit. 

Ceux qui se sont le plus mobilisés pour venir en aide aux sinistrés sont les Hexagonaux qui vivent sur place. Beaucoup ont pris conscience du fait qu’ils avaient vécu en vase clos jusqu’à présent. À Mayotte, ils ont leurs bars, leurs restos, leurs sorties en bateau. Certains m’ont dit qu’ils n’auraient jamais pensé monter dans les bidonvilles avant le cyclone ! Des profs ont vu la réalité que traversent leurs gamins et m’ont dit qu’ils ne pourraient plus travailler de la même manière après ça. »

Un mois et demi après le cyclone, comment vont les gens ?

« L’ensemble de la population a été durablement traumatisé. Une infirmière m’a raconté que le toit de sa maison a été arraché et que son amie a été blessée à la jambe. Elle a dû lui faire un garrot sous des vents à 250 km/h. Un gamin des bidonvilles m’a dit que ses parents n’ont pas osé aller se réfugier dans un centre d’urgence de peur d’être arrêtés par la police aux frontières. Ils ont vécu le cyclone abrités sous un rocher, en plaquant des bouts de tôle sur eux pendant 4 heures pour se protéger des pluies diluviennes.

« L’obsession migratoire du gouvernement met des bâtons dans les roues de tout le monde »

Les personnes les plus précaires ont le nez dans le guidon : se nourrir, reconstruire, éviter la police. Dans les bidonvilles, les habitants bénéficiaient d’une certaine autosuffisance : ils avaient des terres où poussaient des bananiers, des tamarins, des manguiers. Ça leur fournissait de quoi cuisiner au quotidien. Il faudra au moins un an, voire plus, pour que ça repousse et produise suffisamment. En attendant, les associations prennent le relai, comme celle de la mosquée de Kawéni, qui récolte des dons et cuisine pour les gens du quartier. Mais l’obsession migratoire du gouvernement met des bâtons dans les roues de tout le monde. Le père de deux enfants que je suivais, Rasta de son surnom, était bénévole et distribuait des repas. Il a été arrêté alors qu’il rentrait chez lui : 2 heures plus tard, il était renvoyé aux Comores ! »

Propos recueillis par Gaëlle Desnos

1 Maisons de fortune, fabriquées en tôle, sans eau ni électricité.

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Cet article a été publié dans

CQFD n°238 (février 2025)

Dans ce numéro, un dossier sur la Syrie post-Bachar, avec un reportage sous les bombes turques à Kobané. Mais aussi des nouvelles de Mayotte où il faut « se nourrir, reconstruire et éviter la police ». On se penche également sur une grève féministe antifasciste et sur la face cachée des data centers. Puis on se demandera que faire de la toute nouvelle statue du général Marcel Bigeard, tortionnaire en Algérie, qui vient d’être érigée en Lorraine – un immense scandale.

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