La vie des Château

Poser deux yourtes dans le Luberon, c’est un peu comme lâcher une horde de Huns dans les jardins de l’Élysée : ça fait tache. Au cœur d’un paysage voué à la résidence secondaire cinq étoiles, Stéphanie et Amidou Château ont voulu vivre autrement, mais se sont heurtés à un plan local d’urbanisme conçu pour les riches.

La cour d’appel de Nîmes est réputée pour son manque de souplesse, et même les avocats du cru lui reprochent sa « sévérité » : les peines de première instance y seraient aggravées dans « des proportions inhabituelles ». Stéphanie et Amidou Château peuvent en témoigner, Monsieur le Président. Le tribunal d’Avignon les ayant relaxés le 29 août 2011, et le parquet ayant fait appel, ils ont été remoulinés par la Cour de la préfecture du Gard le 9 mars dernier. Et, sans surprise, le couple a été condamné à mille euros d’amende ainsi qu’aux frais de justice, ils ont trois mois pour déguerpir, et une astreinte de 75 euros par jour de retard. N’en jetez plus. Avant que ne se déchaînent les foudres judiciaires, ils avaient un toit et un travail. « Ils ont fait de nous des SDF, des chômeurs et des gens endettés », constate amèrement Amidou. Mais quel forfait innommable a bien pu commettre ce couple et ses deux minots pour être condamné de la sorte ? Deux yourtes. Ils ont monté et habité deux yourtes. Dans le Luberon – les terroristes !

Petit retour en arrière. Après de longs mois de recherches et de démarchage, la famille Château s’est installée en février 2010 sur un terrain de quatre hectares à Lagnes, dans le Vaucluse. Ce en toute légalité, puisqu’ils payent un fermage au propriétaire et ont, selon les dires d’Amidou, obtenu un accord oral du maire du

village, Robert Donnat1. Dégoter un bout de terrain et une masure dans ce coin de Provence relève de la gageure si l’on ne s’appelle pas Patrick Bruel ou Ridley Scott. Et il est tout aussi difficile d’accéder au foncier pour réaliser un projet agricole, même pour des enfants du pays comme Stéphanie et Amidou. « Dans le Luberon, il y a une volonté forte d’accueillir une population aisée, de s’orienter vers le tourisme fortuné, explique Amidou. Notre type d’installation est un choix de vie, mais pas seulement. C’est quasiment obligatoire quand on veut avoir accès à la terre » et qu’on n’a pas le sou.

Sur leur terrain, le couple a installé deux yourtes, soit un bel espace de vie de soixante-dix mètres carrés au total. Puis ils ont monté leurs petites activités : un troupeau de chèvres, pour la viande, et de la volaille, pour les œufs. Une partie est consommée sur place – ça boulotte, deux gosses ! –, et le surplus est écoulé en vente directe. « L’usage veut qu’un éleveur puisse habiter sur ses terres, puisque son activité impose d’être à proximité de ses animaux », explique le locataire malchanceux. Mais cela n’a pas eu l’heur de plaire à la Direction départementale des territoires (DTT), qui a porté l’affaire devant les tribunaux pour « infraction au Code de l’urbanisme et au Plan local d’urbanisme ».

Lors du procès, la robe noire a cherché à savoir si une yourte est une tente – légale – ou une construction – illégale. Pour cela, il faut déterminer si elle est reliée à des éléments fixes. En a découlé une discussion insolite sur la mise en place de cet habitat mongol, l’emplacement de l’évier, de la gazinière, de la douche, des toilettes… Ha, ha, on vous y prend ! Des fils électriques reliés à des panneaux solaires solidement amarrés au sol, et zou, vous êtes bon, mon gaillard ! « Nous attendons impatiemment les conclusions du juge, qui ne nous sont toujours pas parvenues, conclut Amidou. Nous ne ferons pas appel, nous avons décidé de partir. Mais cette décision de justice est très préoccupante pour tous ceux qui souhaitent vivre différemment. »


1 Contacté par CQFD, le maire n’a toujours pas rappelé…

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Paru dans CQFD n°100 (mai 2012)
Dans la rubrique Ma cabane pas au Canada

Par François Maliet
Mis en ligne le 11.07.2012