La une de Libération du lundi 21 mars était sans appel. En arrière plan, un avion F16 américain décollait dans la nuit, des grappes de missiles sous les ailes. En titre : « Avec les insurgés de Benghazi – “Kadhafi allait commettre un massacre”. » Difficile, après ça, d’émettre la moindre objection sur le bien-fondé de l’intervention militaire occidentale en Libye. Quatre mois plus tard, l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (Otan) a toujours l’arme au poing. Au 7 juillet, elle affiche 2 700 cibles militaires bombardées en Libye, et ne reconnaît qu’une petite bavure sur des civils le 19 juin dernier à Tripoli. Pour participer à la petite sauterie, la France a déjà mis au pot 160 millions d’euros [1]. Quant à la Maison Blanche, elle estime que le coût de l’opération sera, en septembre prochain, de 1,1 milliard de dollars [2] . Mais, depuis le 19 mars, l’objectif est clair : il faut faire déguerpir le despote. Coûte que coûte.
La résolution 1973 du Conseil de sécurité des Nations unies permettant « toutes les mesures nécessaires » (pour protéger les populations civiles, mais oublions), pourquoi ne pas utiliser des hélicoptères de combat (c’est fait, depuis le 4 juin) et profiter d’opérations humanitaires pour parachuter des armes aux tribus berbères du Djebel Nefousa, au sud-est de Tripoli (c’est fait, par la France, en mai dernier : lance-roquettes, fusils d’assaut, mitrailleuses et missiles antichar Milan) ? « Se pose la question de la légitimité de [ces] parachutages au regard des résolutions 1970 et 1973, fait remarquer le Groupe de recherche et d’information sur la paix (GRIP) dans une note du 4 juillet dernier [3]. La première résolution fixe clairement un embargo sur tous les types d’armes pour tout le territoire. » Oui, mais maintenant que c’est la guerre, on ne va pas la faire à main nue !
Un envoyé spécial de Libé (édition du 6 juillet 2011) a recueilli le témoignage de rebelles utilisant les fameux missiles parachutés, missiles produits par la société MBDA, une filiale du groupe européen EADS (Lagardère and co). Mais, stupeur, les rebelles, « en examinant les caisses de munitions laissées une heure plus tôt par les forces kadhafistes […] ont découvert trois lanceurs de missiles Milan. » Voilà qui n’est point étonnant, puisqu’il s’avère que MBDA a livré à Tripoli, entre 2008 et 2010, mille missiles de ce type ainsi que cent postes de tirs. Un des fils Kadhafi, Seif el-Islam, a fièrement présenté cette commande de 168 millions d’euros paraphée en 2007 – juste après la libération des infirmières bulgares – de la sorte : « Vous savez que c’est le premier accord de fourniture d’armes par un pays occidental à la Libye ? » [4]. Rappelons toutefois que « certaines sources » – a priori proches de MBDA – affirmaient au magazine L’Usine nouvelle le 3 mars dernier qu’« il n’est pas certain que l’armée libyenne soit en mesure d’utiliser ces armements » puisque « les formateurs de MBDA étaient en cours de mission lorsque la révolution a démarré. Ces formateurs ont été immédiatement exfiltrés vers la France. » On n’en doute pas. Mais, manque de bol, le rebelle rencontré par le journaliste de Libé confie : « On a l’habitude d’utiliser différents types de roquettes, on a rapidement compris comment fonctionnaient les Milan. »
Donc, tout le monde sait s’en servir. Voilà une belle victoire de la démocratie : anti- comme pro-Kadhafi s’écharpent avec du matériel sorti de nos usines d’armement. Matériel qui pourrait encore faire des heureux puisque le bruit court qu’Al Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) profiterait du foutoir ambiant pour s’approvisionner en armes. Mais qu’importe : si cela s’avère être le cas, on lancera une guerre contre le terrorisme – et pour la démocratie.