Pas vu, pas compris
Cachez cet islam !
« Nous sommes en permanence contraints de nous excuser de travailler sur la question de l’islam à Marseille », constate Stany Cambot, du groupe Échelle inconnue. Depuis plusieurs années, ces artistes et architectes mènent un projet urbanistico-politique dénommé « Smala », qui suit à la trace, de ville en ville, le périple pénitentiaire de l’émir Abd el Kader1. Arrivés à Marseille l’année dernière, ils se sont installés au Plan d’Aou, dans les quartiers Nord. « Sur la table, un plan de Marseille. À la radio, des nouvelles du débat sur “l’identité nationale”. Sur la carte, le doigt court, suit les rues, avenues, survole les petites icônes, musées, mairie, église, temple, synagogue, et cherche en vain une mosquée », peut-on lire sur leur document de présentation. Pas de mosquée ? Ils s’intéressent alors à la visibilité de l’islam dans la ville, réalisant nombre d’entretiens avec les habitants ainsi qu’une carte de la cité phocéenne où apparaissent… une quarantaine de salles de prière.
Du 28 juin au 2 juillet, ils devaient présenter leur travail – une exposition visuelle et sonore agrémentée de conférences – à la bibliothèque municipale de l’Alcazar, à deux pas de la Canebière. Pour annoncer l’événement, ils proposent à la direction du lieu une affiche où est représentée, en arrière plan, une mosquée stylisée. C’est sans compter sur le service des affaires culturelles de la mairie. « Nous n’avions plus de nouvelles. Quand nous nous sommes manifestés, nous avons reçu l’affiche modifiée, qui ne ressemblait plus qu’à un vulgaire menu de cantine ! », explique Stany. De mosquée, il n’est plus question : « Ils nous ont expliqué que c’était un choix esthétique. » « Censure ! », traduira Échelle inconnue, qui décide alors de boycotter la bibliothèque et d’exposer son travail dans la rue. Contactée par CQFD, la mairie n’a pas daigné rappeler. Mais Daniel Hermann, adjoint au maire chargé des bibliothèques, a affirmé à La Provence (1er juillet 2011) que « ça n’a rien à voir, sur les affiches, on met du texte et rien d’autre ». « Cette histoire, c’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase, relève Julie Bernard, architecte membre du collectif. Cela condamne notre boulot. Certains ont cru y voir une forme de prosélytisme musulman, ce qui n’est bien évidemment pas le cas. Mais travailler sur l’islam semble déranger. »
Stany confirme, constatant que « finalement, la réaction de la mairie est cohérente avec ce que nous avons pu observer cette année : l’islam n’est pas bienvenu dans l’espace public ». Un exemple ? « Au Plan d’Aou, dans le XVe, deux barres d’habitation ont été vidées. Il ne reste plus, en bas, que trois salles de prières : une comorienne, une turque et une algérienne. Chaque salle fait 80 mètres carrés. Les barres devant être détruites, on leur a proposé, en remplacement, une seule salle de 60 mètres carrés. Quand on a évoqué cette info, une responsable du Grand projet de ville [GPV] nous a ouvertement déconseillé d’aborder le sujet, que c’était plus compliqué, que Marseille, c’est particulier, etc. »
Dans une tente installée sur le trottoir et baptisée « Atelier cartographique de campagne », ils ont pu récolter quelques vérités savoureuses, mais pas bonnes à dire. Comme « cette dame musulmane qui nous a expliqué qu’elle allait parfois prier à Notre-Dame-de-la-Garde ! » À l’heure du débat sur l’islam – pardon, sur la laïcité –, de la loi contre le port de la burqa dans l’espace public, de la dénonciation de « l’occupation » des rues lors de prières…, nos artistes se soucient donc de la visibilité urbaine de l’islam… Dites, ce ne serait pas un petit peu provoc’ ? « À propos des prières dans les rues, répond Julie, une dame nous a dit : “Ce qui est terrible, c’est que l’on soit obligé de prier dans un endroit sale. Nous sommes visibles où nous ne souhaitons pas l’être. On préfèrerait être dans une mosquée, un lieu plus grand, plus propre”. Ceci dit, non, poursuit l’architecte, ce n’est pas une provocation. Nous travaillons sur ce sujet comme travaillerait un chercheur. Mais on sent bien qu’on a touché un point sensible ! »
Hasard du calendrier, islam et espace public refaisaient l’actualité quelques jours plus tôt. Vous rappelez-vous d’André Gerin, l’ex-maire communiste de Vénissieux (Rhône) qui, à force de réclamer une commission d’enquête sur le port du niqab et de la burqa, s’est vu offrir par Nicolas Sarkozy une mission d’information parlementaire sur le port du voile intégral ? Eh bien, ce fervent défenseur de la laïcité écrivait sur son blog2 le 20 juin dernier : « Non, l’immigration n’est pas une chance pour la France. » Complétant, tel un vulgaire ministre de l’Intérieur : « Aujourd’hui, limiter y compris l’immigration régulière devient vital face une situation intenable et explosive dans des centaines de villes populaires. » La visibilité du discours frontiste dans l’espace politique, ça pourrait aussi faire un bon sujet d’étude, non ?
1 Abd el Kader (1808-1883), homme politique, chef militaire, écrivain, poète, philosophe et théologien soufi qui résista pendant quinze ans à la conquête de l’Algérie par la France.
2 blogandregerin.fr/2011_06/110620.html.
Cet article a été publié dans
CQFD n°91 (juillet-août 2011)
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Paru dans CQFD n°91 (juillet-août 2011)
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Mis en ligne le 26.07.2011
Dans CQFD n°91 (juillet-août 2011)
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