La pute a bon dos

Mea maxima culpa, vous vous apprêtez encore à lire une chronique sur la prostitution. L’overdose est partagée, mais soyons francs, est-ce qu’on en a marre de parler de la prostitution, ou marre d’écouter ceux qui en parlent tout le temps comme, au hasard, Élisabeth Lévy ou Najat Vallaud-Belkacem ?

C’est malheureux, mais la plupart des avis qu’on entend adoptent soit le point de vue de la pute (les souteneurs, le droit de disposer de son corps, les sans-papiers mineures, les maisons closes, les lois répressives), soit le point de vue du client (la misère sexuelle, les pulsions, le viol, la solitude, l’époque politiquement correcte), sans jamais considérer ce qui les relie.

Corps contre monnaie, temps contre argent, offre contre demande : chacun dispose de quelque chose dont l’autre a – ou pense avoir – besoin. Chacun vient avec sa misère, croit pouvoir dominer l’autre en profitant de sa propre misère, a de bonnes chances de repartir en se sentant encore plus misérable.

Il ne s’agit pas là de revenir sur la fable du « plus vieux métier du monde » ni de se demander si les hommes préhistoriques en usaient déjà. Le quotidien d’Homo Erectus comportait de toute façon beaucoup d’éléments dont nous ne voulons plus entendre parler, à commencer par le mammouth. Loin d’être « naturelle », la prostitution telle que nous la connaissons aujourd’hui est indissociable du capitalisme, de la mondialisation, du patriarcat et de la répartition inégale des tâches. La pute, c’est celle qui soulage les hommes de leur vie de merde : les marins restés trop longtemps en mer, les prisonniers privés de tendresse, les supporters de foot inquiets de leur virilité, les soldats horrifiés par leur voisinage avec la mort, sans oublier les signataires du Manifeste des 343 salauds, ces bourgeois blancs de droite victimes de leur mariage étriqué pour qui aller voir une pute, c’est toucher du doigt la subculture underground.

Ce que plus grand monde n’interroge dans la prostitution, c’est qu’elle repose sur l’un des principes fondamentaux du capitalisme, si ancré en nous que nous en oublions de le questionner : l’idée que quand on paie, on peut tout faire accepter. Dès qu’un service est rétribué, il devient légitime – ça marche pour les éboueurs, les femmes de ménage, les putes… la liste est longue.

À ce titre, la pute n’est qu’une figure particulièrement peu hypocrite d’une société inégalitaire, et c’est sans doute ce qui la rend particulièrement insupportable 1. Ajoutons à cela la tendance bien connue qu’ont nos contemporains, lorsqu’ils croient ne plus pouvoir agir sur des mécanismes économiques et politiques, à se replier sur une morale vécue comme intangible et rassurante – et qui s’exprime avec une clarté rare, ces derniers temps, à travers les Manifs pour tous et autres frondes anti-« théorie du gender » – ; et nous voilà bien mal embouchés. Ni délit de racolage passif, ni pénalisation du client : putes et clients sont les deux faces du même gant, tour à tour acteurs et victimes d’un système qui les détruit. À l’exception près de Nicolas Bedos, de Frédéric Beigbeder, d’Éric Zemmour et de leurs petits camarades, qui croient voir dans la lutte contre la prostitution la moralisation d’un système qui leur convient tout à fait. On peut défendre les putes, on peut défendre les clients, mais on ne peut pas défendre la prostitution.

Par Caroline Sury.
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