La chute d’un nabab du pinard

L’idée coopérative, fondée sur la solidarité entre les producteurs, a progressivement été circonvenue par les lois d’airain de l’économie de marché. Mais, là aussi, les effets de la crise ont fait apparaître les véritables rouages d’une implacable mécanique de prédation au seul profit de quelques-uns.

La coopérative vinicole dont je fais partie a été fondée en 1925 par les « anciens » ; ils ne voulaient plus être à la merci des marchands de vendanges qui fournissaient les caisses et décidaient donc du début de la récolte et de la quantité. Mon grand-père, membre fondateur, avait un idéal socialisant : « réaliser par l’union et la solidarité une œuvre en commun ». Mais le monde bouge, la viticulture est devenue monoculture, la production locale est passée de cinq cents hectolitres au début du XXe siècle à cinquante mille hectolitres aujourd’hui ; entre la capacité d’enivrer une petite ville de province et celle de soûler une capitale, il y a un changement d’échelle, et l’association, avec ses cinq millions de bouteilles, a changé de nature. L’idéalisme a été abandonné pour une définition plus réaliste de la coopérative : groupement de producteurs visant à réduire les prix de revient. La plupart des coopérateurs croyaient que cela correspondait à la réalité.

La dernière assemblée générale semblait le confirmer : paroles d’expert-comptable et même de commissaire aux comptes, tout allait bien. Et puis patatras ! On apprend qu’il y a un trou financier de trois millions, que le président et le directeur sont virés par le conseil d’administration, que les soldes de récolte ne pourront pas être payés, qu’il

par Caroline Sury

faut négocier un emprunt auprès du Crédit agricole pour continuer à fonctionner. Où aller chercher les responsabilités de cet effondrement ? Un peu partout.

Surtout du côté du directeur : Jean-Christophe est un commercial de haut niveau, issu de la bourgeoisie d’affaires bordelaise ; un grand séducteur qui a su convaincre les coopérateurs que l’argent attire l’argent, que, pour le faire entrer à flots dans les caisses, il fallait mener grand train. Comme un monarque qui veut s’attacher son peuple, et séduire ses clients, il multipliait les dépenses somptuaires : un nouveau caveau de dégustation édifié à grands frais, des chais high-tech, des voyages en Chine et partout dans le monde, des réceptions où l’on arrose les journalistes… Le coopérateur de base n’y voyait aucun inconvénient du moment qu’il touchait fidèlement des acomptes substantiels, il admirait même secrètement le flambeur, et se déchargeait de toute responsabilité sur ses représentants au conseil d’administration. Ceux-ci appartiennent aux familles locales influentes et ils bénéficient réellement de ce système, par exemple en se réservant un droit d’entrée dans la conception d’une cuvée haut de gamme, ou dans l’actionnariat d’un domaine acheté par la coopé… Quant au président, ses indemnités suffisant à payer un chef de culture qui faisait tout le boulot dans ses vignes, il avait fait sien le slogan de mai 68 – « Ne travaillez jamais ! » – et passait tout son temps à communiquer. Puis notre directeur, l’âge avançant, s’est transformé jouisseur : il s’est fait payer une grosse BMW 4X4 de luxe à cent mille euros pièce, il a multiplié les déjeuners d’affaires en dégustant des bouteilles hors de prix et pris l’avion plusieurs fois par semaine pour Bordeaux (qui lui manquait tant) pour des parties fines à la DSK. Ceci dit, il n’était pas chien, il en faisait profiter les copains comme cet œnologue bordelais de renom recruté pour assembler une cuvée « Icône » et payé vingt-cinq mille euros la consultation. Jean-Christophe plaçait aussi, plus modestement, ses copines comme hôtesses d’accueil à l’entrée des bureaux et du caveau… Mais la fuite en avant, permise par des combines comptables telles que l’allongement du calendrier des amortissements, a enfin été dénoncée par certains cadres supérieurs qui, voyant qu’on allait droit dans le mur, ont voulu sauver in extremis leurs emplois. C’est ça, la crise ! Le conseil d’administration, qui jusque-là n’avait jamais exercé son contrôle, a dû réagir et licencier à tour de bras, économisant partout où c’était possible. Mais, aujourd’hui, la révolte gagne les coopérateurs indignés qui réclament une remise à plat et de nouvelles élections. Au nom d’un renouveau de l’esprit coopératif ?

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1 commentaire
  • 6 décembre 2012, 14:25, par Florence Kennel

    le papier est intéressant sur le fond, en mettant en évidence le fonctionnement non démocratique d’une coop, mais les allusions aux parties fines sur Bordeaux sont diffamatoires, et je serais vous, j’éviterais de les mentionner dans l’article. Conseil de collègue journaliste.

    • 9 décembre 2012, 00:02

      « mais les allusions aux parties fines sur Bordeaux sont diffamatoires, »

      C’est surtout de l’exagération, Bordeaux, quand même ! Ah si, on me dit à l’oreillette que c’est bientôt l’inauguration d’un Carlton !

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