La chronique judiciaire où on fume « du chicha »

Marseille. un jeune homme tout juste majeur entre dans le box : « Monsieur F., il vous est reproché un refus d’obtempérer et des violences ayant entraîné une ITT de neuf jours avec l’usage d’une arme par destination et sur personne dépositaire de l’autorité publique. Vous rouliez rue de la République sur un scooter avec deux autres individus non casqués. Vous alliez à très vive allure, vous rouliez régulièrement sur la voie inverse et vous faisiez du rodéo entre les voitures. Le fonctionnaire de police a déclaré : “Je me suis mis face à lui sur la voie de circulation pour l’arrêter. J’ai dû mettre les deux mains en avant pour me protéger. Le scooter m’a roulé sur le pied, il est tombé et moi aussi.” Vous niez tout et vous dites que vous aviez un casque intégral dont la visière vous empêchait de voir, vous n’avez vu qu’une silhouette. Alors déjà ce n’est pas réglementaire d’avoir un casque qui ne vous permet pas de voir les obstacles, et en plus il y a des rues où l’éclairage public manque à Marseille, mais ce n’est pas le cas de la rue de la République. – Non mais c’était la nuit, j’ai commencé à freiner, je croyais qu’il voulait traverser ! Je ne vais pas lui foncer dedans quand même, je suis pas fou ! – Alors le policier a vu un médecin et donc… Ah mais il faudrait revoir la formation des médecins parce que c’est systématiquement illisible ! » L’avocate du policier intervient : « J’ai réussi à lire quelques passages : “douleur au doigt, douleur à l’extension latérale, douleur au pied”. – Bon enfin, vous avez été confrontés, vous avez chacun maintenu votre position. Alors ? Mais cessez de regarder le sol, vous êtes assez grand pour répondre ! – Non mais c’est faux, c’est tout ! On allait chez nous, on avait vu le match, j’ai pas foncé… – J’ai rien compris. Vous commencez une phrase, vous ne la finissez pas… Où étiez-vous ce soir-là ? – Dans un salon. – Un salon de quoi ? – Un salon de chicha. – De quoi ? » L’avocat de F. vient en aide à la juge, stupéfaite : « De narguilé. – Vous avez fumé du chicha avec vos amis ? – Mais ça fait rien ! C’est pas de l’alcool ! » L’avocat précise : « C’est du tabac, madame la présidente. – En tous cas vous avez heurté le policier. – C’est lui qui m’a mis un coup de pied dans le scooter ! Y a même la trace de la Ranger ! – Bon, vous faites quoi dans la vie, monsieur ? – Un CAP de vente alimentaire. – Et ça se passe bien ? – Oui, j’ai 14,3 de moyenne. » L’avocate du policier plaide : « Les fonctionnaires de police ne sont pas des brutes, ils ne vont pas mettre en danger volontairement le scooter ! Le fonctionnaire de police ne s’est pas mis en arrêt de travail parce qu’ils sont en sous-effectif, mais il se retrouve coincé au poste et ne peut pas intervenir au secours de ses collègues. C’est profondément désagréable. Je demande 1 100 euros au titre du préjudice moral. » Le procureur enchaîne : « Cela ne manque pas de nous interpeller sur la difficulté du métier de policier à Marseille et j’attends une réponse très ferme. J’ai regardé attentivement M. F. pendant que vous l’interrogiez, et ça n’engage que moi mais je ne l’ai pas senti tout à fait à l’aise, regardant un coup à gauche, un coup le plafond, un coup ses chaussures. Compte tenu de son jeune âge et de son immaturité, il a sans doute du mal à tenir la posture qu’il a adoptée en niant les faits. Les vérifications ont été faites sur le scooter, il n’y a pas de trace de Ranger. Il est allé en détention hier, je crois qu’il a touché du doigt la réalité, l’important est que ce choc carcéral ait lieu, que ce soit pour 1 nuit, 1 semaine ou 1 mois, peu importe. Le principe de l’emprisonnement ferme pour des atteintes à des fonctionnaires de police me semble fondamental. Je demande 8 à 10 mois d’emprisonnement dont six assortis du sursis simple. » L’avocat de F. intervient : « Contrairement à monsieur le procureur, je n’ai pas vu dans la procédure que la trace de Ranger avait été vérifiée. Pourquoi ? Et à propos du certificat médical : neuf jours d’ITT ! Le médecin rédige en écrivant “il me dit que”, “à la demande de l’intéressé”… et les blessures n’ont été constatées que le lendemain… Alors je comprends bien qu’il faille protéger les forces de l’ordre, mais quand même, huit à dix mois dont six assortis du sursis simple ! La version des faits de M. F. s’oppose à celle d’un policier, assermenté il est vrai, mais tout ce qu’on peut lui reprocher au final c’est d’avoir transporté deux mineurs sans casque. » F. prend deux mois avec sursis, 475 euros pour le préjudice moral et 300 euros d’amende.

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1 commentaire
  • 11 novembre 2011, 02:00, par Ed

    Les paragraphes, c’est quand même plus lisible.