Cap sur l’utopie

L’utopie ou la mort

Mettre le cap sur l’utopie, c’est aussi porter un toast guilleret aux rarissimes maisons d’édition flirtant avec des utopies révolutionnaires. À la manière des Presses du réel qui ont réédité crânement le plus transgressif appel qui soit aux chamboulements merveilleux : Le Nouveau Monde amoureux de Charles Fourier (années 1820). Ou à celle du Passager clandestin, une machine à fabriquer des livres séditieux qui est une téméraire utopie en elle-même puisqu’elle ne propage que des ouvrages réimaginant hardiment nos sociétés mortifères. C’est ainsi qu’en à peine quelques mois, le Passager clandestin vient de sortir de sa gibecière flibustière cinq brûlots donnant furieusement envie de tout-tout-tout réinventer.

À commencer, remontons le temps, par Pierre Kropotkine et l’économie par l’entraide de Renaud Garcia qui expose lumineusement les fondements du socialisme anarchiste kropotkinesque montrant que « la coopération et la solidarité sont des facteurs essentiels de la survie des espèces ». Attaquons-nous, s’écrie le prince rouge, à la logique de l’accumulation illimitée du capital, à la compétitivité, au productivisme. Réorganisons la production en visant à l’aisance pour tous « qui n’est plus un rêve depuis que l’homme a inventé le moteur ».

Voltigeons du XIXe siècle aux « années 1968 » avec Françoise d’Eaubonne et l’écoféminisme de Caroline Goldblum. Tournée volontiers en dérision par des andouilles, ma farouche copine Françoise guerroyait comme une Emma Goldman aussi bien contre l’oppression patriarcale des femmes que contre l’exploitation capitaliste et le massacre de la nature. Elle signa le Manifeste des 121 (« Déclaration sur le droit à l’insoumission dans la guerre d’Algérie », 1960), cocréa le Fhar (Front homosexuel d’action révolutionnaire, 1971), épousa le détenu Pierre Sanna victime d’injustices, défendit la bande à Baader, trempa dans des sabotages antinucléaires et fricassa plus de cent livres (!) dont l’épatant L’Utopie ou la mort que le Passager clandestin rééditera sous peu.

Rebondissons ensuite à la fin du XXe siècle avec Murray Bookchin et l’écologie sociale libertaire de Vincent Gerber et Floréal Romero qui décrit balèzement le projet municipaliste libertaire du larron ambitionnant de reconcevoir coolement la démocratie directe (gestion humaine des affaires publiques, extinction de toute notion d’autorité, prises de décisions réellement collectives, droit de révocation permanent par les libres assemblées de leurs délégués).

Et en arrière toute pour un p’tit tour en 1955 avec la nouvelle La Vague montante de la romancière féministe Marion Zimmer Bradley qui oppose au totalitarisme technologique une société d’abondance pour le moins frugale où « nul être humain n’a le droit d’en asservir un autre ».

Nous avons enfin une très belle utopie en actes avec Habiter en lutte : Zad de Notre-Dame-des-Landes, quarante ans de résistance) par le Collectif comm’un, un maelström de précieux documents (récits, photos, croquis, cartes, etc.) issus du plus grand squat à ciel ouvert d’Europe : sur la mise en commun des matériaux et des ressources, les non-marchés où règne le prix libre, les transmissions de savoir-faire, les prises de décision horizontales sans vote et sans hiérarchie. « Comment veux-tu que le pouvoir vienne à bout de personnes qui éprouvent une telle joie de lutter ensemble  ? »

Noël Godin
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