L’hydre bat la campagne

À quoi ressembleront nos campagnes dans une vingtaine d’années ? Pour répondre à cette question, l’Institut national de la recherche agronomique (INRA) a publié, en mars 2009, quatre scénarios, à nos yeux proprement horrifiques. Près de deux ans plus tard, le grand public provençal en prend connaissance dans la presse quotidienne régionale1. Commentaire de texte.
par Nardo

Les projections de l’INRA2 se veulent des « outils pour animer des débats avec les chercheurs de divers disciplines et avec des partenaires institutionnels ». Mais on constate d’emblée que c’est l’hypothèse univoque d’une crise énergétique forte avec toutes ses conséquences qui doit orienter les débats.

Une de ces anticipations catastrophes, qui donne des sueurs froides, prend la région PACA pour exemple. S’inspirant de situations qui existent déjà en Asie, l’INRA annonce la couleur : « En 2030, la conurbation littorale des années 2000 s’est transformée en un vaste continuum urbain de Menton à Marseille, Aix et Avignon, qui se prolonge au nord par le Rhône et rejoint par l’ouest la conurbation languedocienne. » Après le projet de Sillon alpin dont on vous a parlé dans le dernier CQFD3, voilà d’autres têtes pour cette hydre que veulent faire vivre nos « élites ». Poursuivons : « Le tissu urbanisé, initialement polycentrique et éclaté, s’est densifié, tout en intégrant des éléments naturels (parc des Alpilles, montagne Sainte-Victoire…) ou agricoles. Une agriculture intensive “intra-urbaine” à forte technologie (mais avec un impact environnemental maîtrisé) se développe dans des zones agricoles protégées (ZAP). Cette agriculture approvisionne les urbains en produits frais (fruits et légumes) principalement sur des marchés de proximité. » Ne croyez pas qu’il s’agit là de science-fiction, cela correspond à un projet actuel émanant des responsables des chambres d’agriculture, celle de Vaucluse en tête. Un virage décisif a été pris lorsque ces « responsables » parlent de faire reconnaître l’espace agricole comme « zone d’activité ». Et cette zone, ils veulent la défendre contre les riverains, ces malfaisants qui ne respectent pas la propriété privée ou même, pire, remettent en cause les pratiques agricoles. Restrictions à l’installation de nouvelles habitations dans cette zone, organisation des circuits de randonnées avec parcours accompagnés et délais d’entrée dans les parcelles après traitements pour les promeneurs sont au programme à l’instar de n’importe quelle zone industrielle.

On entend d’ici les paysans de la Confédération paysanne crier aux loups : « Une fois de plus ils récupèrent toutes nos idées, veille foncière, agriculture plus respectueuse de l’environnement, marchés de proximité, mais en les détournant de ce qui en fait l’esprit : un tissu rural vivant ! » La Conf’ serait avisée de mieux comprendre le concept de récupération. Il ne s’agit pas de falsifier des idées, mais tout simplement de les appliquer telles quelles car l’évolution du monde en a vidé toute la dimension critique. Ces idées ainsi neutralisées ne feront que parachever l’industrialisation de l’agriculture.

Revenons au scénario de l’INRA : « Dans les territoires les plus accessibles du moyen pays provençal, la crise résidentielle est évitée : les mobilités, bien que limitées, se maintiennent grâce à un réseau de transport qui relie les grandes villes aux villes moyennes. De nouvelles formes de mobilités individuelles permettent de circuler avec un faible coût énergétique sur des périmètres réduits (sur un rayon de 30 km par exemple) ; mais seules les populations les plus aisées peuvent s’offrir ces déplacements, ce qui engendre un embourgeoisement fort de ces territoires. » Ici le présupposé de l’INRA et des autorités s’inspire de la décroissance (encore une récupération !) : dans vingt ans le pétrole sera rare et cher. D’ailleurs, depuis quelques mois, les préfets organisent des réunions avec des élus de la campagne pour les préparer à cette idée ; ils attirent leur attention sur la fragilité de cette population néorurale qui parcourt quotidiennement de grandes distances pour aller bosser. Ils n’osent pas encore leur avouer qu’ils envisagent carrément l’abandon de nombreux villages de l’arrière-pays et l’installation d’un « désert vert » consacré aux panneaux photovoltaïques, à la protection des ressources en eau, à la gestion de la biodiversité et même, dans le cadre d’un développement du marché carbone, l’achat d’espaces naturels par des fonds de pension, des banques et des grandes entreprises.

« Seuls les espaces agricoles les plus accessibles et les plus productifs continuent d’être exploités par des entreprises agro-industrielles, qui produisent des fruits et du vin », concluent nos visionnaires. En effet, les chambres d’agriculture de la région ont décidé de concentrer tous leurs moyens sur les zones agricoles irrigables, d’où en particulier le projet pharaonique de détourner une partie des eaux du Rhône pour irriguer le vignoble industriel de la plaine et maintenir des rendements élevés. Petits agriculteurs des zones sèches, par ici la sortie !

Les tristes sires qui ont pondu ce scénario, et ceux qui veulent le réaliser, sont comme l’hydre à sept têtes. Souvenons-nous de ce que les Grecs nous ont appris : « Tant que le monstre vit, tant que la vanité n’est pas dominée, les têtes, symboles des vices, repoussent, même si, par une victoire passagère, on parvenait à couper l’une ou l’autre. »


1 La Provence du 18 décembre 2010.

2 Dans Inra magazine.

3 « Les JO creusent le Sillon », CQFD n° 85, janvier 2011.

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