Sécurité socialiste
Le PS rosse au poing
« Le poing et la rose », le très officiel logo du Parti socialiste, devrait subir quelques retouches : exit la rose, le poing brandira bientôt la matraque. C’est du moins ce que semblaient annoncer les hiérarques socialistes qui, réunis à Créteil le 17 novembre dernier à l’occasion du forum sur leur nouveau Pacte national de protection de sécurité publique, ont une nouvelle fois affirmé combien ils étaient désormais « décomplexés » sur les questions de sécurité et de délinquance.
Mais, une fois encore, c’est dans les vieux pots… Ne doit-on pas à Marx Dormoy, ministre socialiste de l’Intérieur sous le Front Populaire, la création de la direction des Renseignements généraux ? N’est-ce pas Jules Moch, autre ministre socialiste de l’Intérieur, qui n’hésita pas à faire donner la troupe pour laminer à coups de bottes les mouvements de grèves de la fin de l’année 1947 ?
Depuis le milieu des années 1990 néanmoins, les socialistes ont découvert un nouveau terrain de jeu. Désormais les commissions, colloques, ouvrages, forums, rencontres, interviews et, quand c’est possible, réformes pénales, s’enchaînent pour nous expliquer que la « sécurité » est une fort belle « valeur républicaine ».
La « sécurité », valeur républicaine de droite
Martine Aubry, en introduction du forum qui s’est tenu à Créteil, le répète à qui veut bien l’entendre : « La sécurité est au cœur du projet socialiste »1. En 1997 déjà, le tout frais Premier ministre Lionel Jospin annonçait que la sécurité serait la deuxième priorité du gouvernement après l’emploi.
En octobre de la même année, à Villepinte, le Premier ministre ainsi que les ministres de l’Intérieur, de la Défense, de la Justice, de l’Éducation nationale et de l’Emploi et de la Solidarité (sic !), communiaient publiquement autour de la nécessité de rendre nos villes plus « sûres ». La mine et le verbe émus, la solidarité de classe en étendard, les socialistes nous expliquèrent ainsi que « l’insécurité était une inégalité qui s’ajoutait à toutes les autres », puisqu’elle toucherait en priorité les plus modestes, les femmes et les vieux.
Pour pouvoir représenter les intérêts des plus pauvres, il fallait d’abord montrer combien ils se bouffent entre eux. À la guerre entre classes, les socialistes préférèrent donc la guerre à l’intérieur d’une même classe. Et là où l’on pourrait s’attendre à ce que l’ancienne Section française de l’Internationale ouvrière nous parle chômage, contrats de merde et urbanité carcérale, elle nous exprimera désormais son indignation face aux crachats, odeurs d’urines et autres vols à la tire. Avec en ligne de mire la désignation d’un ennemi fort commode, et bien plus accessible en voiture banalisée que les escrocs des milieux d’affaires : le jeune d’origine étrangère en survêt’ et casquette.
Le glissement vers une conception pénale d’une « insécurité » longtemps présentée comme sociale renferme en fait une explication étroitement politicarde. Comme le rappelle Clotilde Valter, conseillère de Jospin à Matignon sur ces questions, à force d’enchaîner les dérouillées électorales, le PS se devait d’aller chercher cette « gauche des milieux populaires, plus répressive et plus ferme ». Quitte à anticiper et encourager cette supposée demande sécuritaire.
Lionel Jospin précisait déjà en 1997, à l’occasion d’un conseil national tenu rue de Solférino : « La lutte contre l’extrême droite implique certainement des analyses justes, le choix de thèmes, d’un langage et de méthodes appropriés. »
Niveau langage, le Parti socialiste n’a pas eu à chercher bien loin. « La sécurité, valeur républicaine », « la sécurité, première des libertés », « l’insécurité, première des inégalités », tout ce beau verbiage est pompé de la vieille propagande de droite héritée de l’ère Peyrefitte, lorsque, à la fin des années 1970, la « culture de sécurité » connut ses premières heures de gloire. Daniel Vaillant, ministre de l’Intérieur socialiste entre 2000 et 2002, sua d’ailleurs toute sa panse à le marteler : « La sécurité n’est ni de gauche, ni de droite. » Martine Aubry l’expliquait encore dernièrement à Créteil : « Il n’y a pas d’idéologie dans la sécurité. »
Avec un peu plus de jugeote, Patrick Devedjian pouvait donc célébrer, dès 1997, la « grande victoire idéologique de la droite ». Et pour cause : la dépolitisation du discours sécuritaire s’est accompagnée de la reprise d’une représentation sociale elle-même très marquée idéologiquement. Dans le discours d’ouverture de son mandat de Premier ministre, Lionel Jospin fustigeait l’existence des fameuses « zones de non-droit », fumeux syntagme d’origine policière permettant d’accentuer la stigmatisation des quartiers pauvres. « Laxisme » et « angélisme », les deux jumeaux sur lesquels la droite aime à cogner, encaissent dès lors et de façon rituelle les charges socialistes. Lionel Jospin dénonce les « excuses sociologiques » de la délinquance, quand Julien Dray tance la « responsabilité individuelle » de ses auteurs. Et tous reprennent sans sourciller les contre-vérités sur « la montée générale de la violence », « les délinquants de plus en plus jeunes et de plus en plus violents », « les jeunes délinquants multirécidivistes bénéficiant d’une impunité totale », etc.2
Bien sûr, le PS ne répudie pas totalement l’analyse de « l’insécurité » comme résultante de la violence sociale vécue quotidiennement dans les quartiers relégués. Mais le PS a ses raisons que la raison ignore. Daniel Vaillant nous éclaire : « Dans les années 1980, il y avait un discours visant à dire que la délinquance pouvait aussi avoir une explication sociale, et que les délinquants étaient eux-mêmes des victimes. Ce qui est à la fois vrai, si on a une analyse sérieuse, etc… Mais c’est une réponse complètement incompréhensible pour les gens. »
À l’heure où le Parti socialiste compte un « secrétaire national à la communication et à la mobilisation », un autre « secrétaire national aux médias », plus un « secrétaire national délégué général aux études d’opinion », la « médiaddiction » de ses discours fait désormais figure de désolante banalité. À l’instar du sarkozysme, la porte est ouverte à tous les bla-bla hypocrites et larmoyants sur les « victimes ». Et quand Pierre Bourdieu rappelle que « le fait divers fait diversion », Martine Aubry s’insurge : « On dit un fait divers, mais un fait divers c’est en général quelque chose de grave, qui touche nos concitoyens ! »
La gauche kiffe la police
Empathie avec nos « concitoyens », donc fermeté avec les délinquants. Et François Rebsamen, ancien du cabinet Joxe à l’Intérieur, précise, droit comme un tonfa : « Le PS, ce n’est pas la Ligue des droits de l’homme »3. Dans un document interne daté de 1997, le parti prend de nouvelles résolutions : « Confrontés au développement des violences urbaines et à l’exercice des responsabilités, les socialistes ont considérablement évolué dans le domaine de la sécurité. Ainsi, l’image d’une gauche soupçonneuse à l’égard de la police et mal à l’aise lorsqu’il s’agit de parler d’ordre public a vécu. »4
La solennité de l’annonce sera parfaitement honorée par Daniel Vaillant, lorsque celui-ci succèdera au déjà très droitier Jean-Pierre Chevènement à l’Intérieur. Car quand on parle bavures, Vaillant a sa propre vision des choses : « Je voudrais bien que l’on me retrouve des bavures quand j’étais ministre de l’Intérieur. En vingt-deux mois, vous n’en trouverez pas, à mon avis. Il y a eu des morts policières ! Ça oui, hélas… » Maurice Rafsjus, dans son ouvrage sur La police et la peine de mort5, recensait pourtant quinze « bavures mortelles » pour la seule année 2001.
Au même moment, Julien Dray est lui aussi occupé à réciter sa prose de syndicaliste policier. Pour préparer son ouvrage État de violence, sorti en 1999, Dray prend le bâton par le bon bout : il s’invite dans les bagnoles de la BAC, se balade en banlieue parisienne, reçoit quelques caillasses, et revient plaider en faveur de ces brigadiers « soldats de la République » et de leur difficile métier.
En totale rupture avec la propagande de droite, et de façon tout à fait originale, l’ancien trotskiste dénoncera donc « l’installation d’une logique mafieuse dans les banlieues où règnent les caïds », et la violence « aveugle, nihiliste, dénuée de sens » qui sévirait dans ces quartiers.
Mais ses tribulations nocturnes ne satisfont pas les ardeurs d’enquêteur de l’ancien vice-président de SOS Racisme. Celui-ci prend donc l’avion direction New York, histoire de visiter les commissariats labellisés « tolérance zéro ». Il raconte : « Je vais aux États-Unis pour comprendre un peu cette théorie du carreau cassé, la tolérance zéro, etc., et je reviens avec une approche nuancée des choses par rapport à une partie de la gauche, qui dit “tout ça c’est nul”. La théorie du carreau cassé, elle n’est pas fausse : un carreau cassé qui est pas remplacé, c’est la tentation pour tous les autres d’en casser d’autres. Donc, finalement, je pense qu’ils ont raison. »
En vérité, Julien Dray ne prêche pas franchement dans le désert. En 1998, la Fondation Jean-Jaurès a déjà organisé une table ronde sur le sujet. Sont notamment présents Jean-Pierre Chevènement, Jean-Pierre Blazy, député et auteur en 2006 d’un petit ouvrage intitulé Les Socialistes et la sécurité, et Michael Farrel, adjoint au chef de la police de New York, venu vanter les mérites de la criminalisation des pauvres.
Trois ans plus tard, en déplacement à Évry sur les terres de l’ineffable Manuel Valls, le Parti socialiste célèbre à l’unisson sa nouvelle plate-forme sécuritaire. Au menu notamment, la mise en proximité « de l’ensemble du panel des services de police afin de favoriser la polyvalence, de créer une synergie et d’optimiser les résultats : judiciaires, RG, mineurs, mœurs, BAC… »
Avec la création de la police de proximité en 1998, et même si les ambitions socialistes diffèrent légèrement des plans gouvernementaux, l’objectif est de renforcer le quadrillage policier des quartiers. Il n’a strictement jamais été question d’organiser des bataillons d’« assistantes sociales », comme aiment à le répéter les sarkoboys. Au contraire, la police de proximité, déjà appelée de ses vœux par Charles Pasqua sous Chirac, est précisément pensée en vue de combler les lacunes de la police d’îlotage en matière de répression.
En 2001, Daniel Vaillant fait passer la Loi sur la sécurité quotidienne (LSQ), avec notamment pour objectif la systématisation des interventions des forces de police dans les halls d’immeubles. Puis il prépare la Loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure (LOPPSI), dont le texte s’inquiète (encore) de ces délinquants « de plus en plus jeunes et de plus en plus violents », encourage, entre autres, la lutte contre l’immigration clandestine, et sera finalement... entériné sous le ministère Sarkozy, en août 2002. Sur ce point, Daniel Vaillant en voudra d’ailleurs à ses camarades : « [J’ai remis le texte de loi] à Sarkozy. Et vous savez ce qu’il en a fait ? La loi d’orientation ! Et après les socialistes m’ont demandé de voter contre ! J’étais pas très bien… »
Depuis, l’ancien ministre de l’Intérieur de gauche semble s’être fait un devoir de toujours soutenir son successeur de droite. En 2003, il insistait : « Il est nécessaire de ne jamais tomber dans une opposition de principe au prétexte de se démarquer de la droite à ce sujet : il faut soutenir l’action du ministre de l’Intérieur quand elle va dans le bon sens, quand elle poursuit ce qui a été fait par la majorité de gauche. Par exemple, il est utile de soutenir l’augmentation du budget de la police, l’autorisation de fouille des coffres de voitures, ou l’extension, dans le respect des libertés fondamentales, du fichier des empreintes digitales. »
Le « socialisme », une société de surveillance ?
Depuis cette période, le PS profite néanmoins de la caricature sécuritaire incarnée par Sarkozy. Et se permet à peu de frais quelques cordiales diatribes à l’encontre de l’option « tout répressif » qui prévaut désormais Place Beauvau, ou contre la « stigmatisation » dont sont tous les jours victimes les jeunes des quartiers populaires issus de l’immigration.
Mais il est difficile de manquer les signes d’un tropisme sécuritaire désormais bien enraciné au PS. Il suffit pour cela d’égrener les valeurs auxquelles Aubry se réfère lorsqu’elle évoque une société faite « de justice, de laïcité, de respect, et aussi d’autorité ». Ou bien de jeter un œil aux propositions de réformes avancées. Le forum de Créteil marque ainsi l’officialisation de la prévention situationnelle6 et de la vidéosurveillance comme nouveaux gadgets de prédilection des socialistes en matière de sécurité. Et les différents orateurs ont beau formuler quelques réserves d’usage, la maire de Lille est bien obligée de convenir que « personnellement, j’ai beaucoup de caméras dans ma ville, dans les parkings, dans les transports publics… »
Dans la future loi de programmation et de coordination sur la sécurité et la justice pénale que le PS nous promet, on devrait également trouver le descriptif de ces « centres de discipline et de réinsertion [qu’ils veulent] mettre en place, et qui sont plus... fermes que les centres de placement immédiats ».
François Rebsamen, coordinateur du forum, a pour sa part gommé toute sorte d’hésitation. Dans une interview récente accordée au Nouvel Observateur, le sénateur-maire de Dijon rappelle d’abord sa volonté de voir dépistées les prédispositions délinquantes « dès la maternelle ». Il répond ensuite à une question sur l’opportunité d’envoyer l’armée dans les quartiers : « Éventuellement. Les gendarmes savent très bien mener ces opérations de “pacification”, ils l’ont plusieurs fois démontré à l’étranger. » Et nous informe, on est heureux de l’apprendre, que « certains élus de [son] parti en sont à se dire qu’il faudrait des lois d’exception pour reconquérir ces cités difficiles »7.
Aujourd’hui, la nervosité gagne certains membres de la majorité. Le député UMP Christian Vanneste déplorait ainsi en juillet 2009 que les parlementaires socialistes aient été les seuls à soutenir son amendement portant création d’un délit de « harcèlement social », qui exposait à la prison ferme « cette délinquance minuscule, qui à travers l’occupation d’une pelouse, d’un square, d’un parking permet à une bande de s’approprier un territoire et d’y faire régner sa loi. »8 Il concluait sa tribune d’une plume inquiète : « J’en appelle aujourd’hui aux membres de la majorité : ne laissez pas passer l’aggiornamento de la gauche en matière de sécurité, car bientôt c’est elle qui pourra nous accuser à juste titre de laxisme et d’inefficacité. »
1 Les citations de Martine Aubry sont extraites de son intervention lors de ce forum, visible sur Dailymotion. Toutes les autres citations non référencées ont été piquées aux extraits d’entretiens et de discours contenus dans un mémoire intitulé Liberté, égalité, sécurité. Le parti socialiste et la police, IEP de Strasbourg.
2 Lire Laurent Bonelli, « Urgences sociales, outrance sécuritaire », Le Monde diplomatique, septembre 2010.
3 Interview au JDD.fr, 28 août 2010.
4 La Sécurité pour garantir la cohésion sociale, 1997.
5 Maurice Rafsjus, La Police et la peine de mort, L’Esprit Frappeur, 2002.
6 Dispositif d’aménagement urbain d’inspiration sécuritaire visant à prévenir les actes de malveillance en les rendant visibles ou à faciliter l’intervention des forces de l’ordre.
7 Le Nouvel Observateur, 18 novembre 2010.
8 Intervention accessible sur le site christianvanneste.fr
Cet article a été publié dans
CQFD n°86 (février 2011)
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Paru dans CQFD n°86 (février 2011)
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Mis en ligne le 11.04.2011
Dans CQFD n°86 (février 2011)
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