Sur la Sellette (chronique judiciaire)
L’esprit de Noël
Il est 13 heures 45, l’audience commence. Le premier prévenu, Sami F., est amené des geôles par les policiers. Ils le démenottent à l’entrée de la salle avant qu’il n’entre dans le box en plexiglas. Le président l’interroge abruptement :
« Vous avez 21 ans.
– Correct.
– Vous avez une petite amie.
– Oui.
– Vous travaillez.
– Oui.
– Vous êtes un ancien militaire.
– Correct. »
Pour avoir brandi une arme devant deux personnes, Sami F. comparaît pour « violences volontaires, n’ayant pas entraîné d’incapacité totale de travail (ITT) ». Le président rappelle son casier judiciaire :
« Vous avez été condamné la semaine dernière, ici même, en comparution immédiate. Vous aviez déjà été condamné en 2023 à une peine avec sursis pour détention de stupéfiants, puis en 2024 à un sursis probatoire, partiellement révoqué vendredi dernier, pour abus de confiance envers le service départemental d’incendie et de secours. Et il semblerait que vous demandiez un renvoi. »
L’avocate de la défense confirme avant que son client ait le temps de répondre et ajoute qu’elle demande au tribunal d’ordonner une expertise psychiatrique d’ici la prochaine audience. La procureure n’a rien contre l’expertise, au contraire : « Elle me semble nécessaire pour expliquer les passages à l’acte successifs, qui sont inquiétants. »
En revanche, elle demande que Sami F. reste enfermé à la prison de Seysses jusqu’à l’audience : « Sur son casier, il y a des faits de vol, de violence, et l’usage d’un véhicule policier sans autorisation. [Elle se tourne vers lui] Alors que vous avez eu la chance de sortir libre la semaine dernière, on constate que les faits sont commis 24 heures après. Vous avez sorti un glock et braqué les personnes dans un restaurant. Vous affirmez appartenir à une section de recherche, être indic’ dans des enquêtes secrètes ! Vous avez un délire avec l’armée, dont vous prétendez faire encore partie alors que vous en avez été évincé l’année dernière. Vous avez un brassard, des cagoules, des cartes professionnelles. L’expertise nous permettra de savoir s’il y a une pathologie psychiatrique et de statuer sur votre dangerosité criminologique. En attendant, je demande le maintien en détention. »
L’avocate ne bataille pas contre l’envoi de son client en détention provisoire : « On ne va pas faire offense au tribunal en vous demandant une remise en liberté alors que mon client comparaissait ici même la semaine dernière. »
Puisqu’apparemment tout le monde est d’accord, quelques minutes de délibération suffisent ainsi au président et à ses deux assesseuses : ils ordonnent une expertise psychiatrique ainsi que le maintien du prévenu en détention en attendant son procès, un mois plus tard. Assis au premier rang, un vieux monsieur commente d’un air mélancolique : « Il va passer Noël en prison. »
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Cet article a été publié dans
CQFD n°237 (janvier 2025)
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Paru dans CQFD n°237 (janvier 2025)
Dans la rubrique Chronique judiciaire
Par
Illustré par Vincent Croguennec
Mis en ligne le 28.03.2025
Dans CQFD n°237 (janvier 2025)
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