Sur la Sellette
Choc carcéral
Encadré par deux policiers, Aiden C. entre dans le box et s’assoit machinalement sur le banc. Le président le rappelle à l’ordre – « Levez-vous ! » –, et ajoute immédiatement sarcastique : « Enfin si vous n’êtes pas trop fatigué ! »
Le prévenu comparaît pour transport de stupéfiants dans le cadre d’un trafic.
— Est-ce que vous travaillez ?
— Non.
— De quoi vivez-vous ?
— Je suis en formation.
— Payée ?
— Oui.
— Combien ?
— 500 euros.
— Formation de quoi ?
— De conducteur de bus.
— Vous étiez dans une voiture qui roulait à vive allure, les policiers ont décidé pour cette raison de vous contrôler, ils ont trouvé 1 700 euros et de la drogue cachée à différents endroits.
En tout, 80 grammes d’héroïne et 3 grammes de cocaïne. Le président trouve « particulièrement déplaisant » qu’une partie de cette drogue ait été cachée dans un siège bébé.
— Vous êtes rentré dans ce réseau par l’intermédiaire d’un groupe Signal et vous deviez être payé 200 euros par jour. Avez-vous touché l’argent ?
Le jeune homme répond que non, parce qu’il s’est fait arrêter dès le deuxième jour et avant d’avoir pu récupérer les sommes promises.
— Et votre formation, c’est pour pouvoir transporter des stupéfiants en bus ?
Quelques personnes rient dans le public.
— Bon, bah voilà, c’est tout. Pas grand-chose d’autre à dire. Vous n’avez pas de casier judiciaire. Vous êtes allé jusqu’au bac, que vous n’avez pas obtenu, c’est bien ça ?
Le garçon hoche la tête et c’est déjà le moment des réquisitions. La procureure se lève :
— L’héroïne est une drogue particulièrement néfaste qui crée un problème de santé publique majeur.
Mais, parce qu’Aiden C. est en formation, qu’il habite chez sa mère et qu’il n’a pas d’antécédents, elle propose une peine aménagée : dix mois de détention sous bracelet électronique à effectuer à domicile.
À cela elle veut ajouter une amende, « pour bien lui faire comprendre qu’il a une dette auprès de la société » : 3 000 euros, dont 2 500 avec sursis.
L’avocate de la défense s’avance à la barre :
— Il est vrai qu’avec la cocaïne et l’héroïne, Aiden C. a tapé directement dans la cour des grands et c’est ce qui l’amène en comparution immédiate. Mais c’est un tout jeune homme de 19 ans qui n’avait jamais eu affaire jusque-là à la justice ni à la police. Son amateurisme fait qu’il n’est pas passé entre les mailles du filet : il n’a participé que deux jours ! On peut lui faire comprendre que la justice doit être dure et répressive, tout en tenant compte des éléments de personnalité. Il faut lui éviter le choc carcéral.
Après avoir délibéré, les trois juges reviennent dans la salle. Le président lance à nouveau un bon mot au prévenu en train d’enlever son sweat : « Vous faites un strip-tease ? » Avant d’annoncer d’un air martial :
— Le tribunal estime qu’il doit faire preuve de fermeté.
Aiden C. est condamné à 8 mois d’incarcération sans aménagement. Il sera emmené à la prison de Seysses dès la fin de l’audience.
Cet article a été publié dans
CQFD n°234 (octobre 2024)
Dans ce numéro, on revient avec Valérie Rey-Robert sur ce qu’est la culture du viol dans un dossier de quatre pages, avec en toile de fond l’affaire des viols de Mazan. On aborde aussi le culte du patriarche et les violences sexistes dans le cinéma d’auteur. Hors-dossier, Vincent Tiberj déconstruit le mythe de la droitisation de la France. On se penche sur les centres d’accueil pour demandeurs d’asile en Italie, avant de revenir sur la grève victorieuse des femmes de chambres d’un hôtel de luxe à Marseille. Enfin, on sollicite votre soutien pour sortir CQFD de la dèche !
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Paru dans CQFD n°234 (octobre 2024)
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Mis en ligne le 07.11.2024
Dans CQFD n°234 (octobre 2024)
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